Nouvelle publication dans la Revue Européenne de Droit de la Consommation / European Consumer Law Journal dans le cadre d'un numéro spécial coordonné par Christophe Verdure sur le thème des pratiques commerciales déloyales en droit de l’Union Européenne. L'article traite de la sanction des pratiques commerciales déloyales et des éventuels arbitrages entre préservation de l’ordre concurrentiel et protection des concurrents.
« La sanction des
pratiques commerciales déloyales : la préservation de l’ordre
concurrentiel au risque de la protection des concurrents ? », Revue Européenne de Droit de la Consommation
/ European Consumer Law Journal, n° spécial ‘Les pratiques commerciales
déloyales en droit de l’Union Européenne’, Christophe Verdure (éd.), volume
2013/2, pp.277-304.
Quelques lignes de résumé
La directive européenne 2005/29/CE,
relative au droit des pratiques commerciales déloyales, ne porte que sur la
protection des consommateurs finaux. Dans cette logique « B2C », elle
ne s’attache pas au « B2B », c’est-à-dire aux pratiques déloyales
pouvant affecter les transactions entre professionnels, qu’il s’agisse des
relations entre concurrents ou partenaires commerciaux. Pour ce second volet,
la directive renvoie, dans son considérant n°6, aux législations nationales. Celles-ci
s’ancrent pourtant dans des traditions juridiques différentes et traduisent des
préoccupations parfois divergentes. Si certaines, à l’instar de la directive,
se centrent sur la protection du consommateur, d’autres prennent en
considération la situation des concurrents ou des partenaires commerciaux des
firmes dotées d’une puissance de marché.
Les rapports de marché peuvent
effectivement se traduire par l’exercice de pouvoirs économiques privés, comme
le reconnaissaient les institutionnalistes américains et les ordo-libéraux
allemands. Pour ces derniers, l’enjeu dépassait le seul champ des relations de
marché. La limitation de l’exercice des pouvoirs de coercitions économiques
privés est une condition sine qua non
de la préservation des libertés économiques et par voie de conséquence des
libertés politiques.
Si, dans une certaine mesure, les
pratiques commerciales déloyales peuvent paraître couvertes par les règles de
concurrence européennes, un examen plus attentif permet de mettre en lumière
des divergences, notamment en matière de critères mobilisés. L’approche par les
effets, notamment le primat accordé au critère du bien-être du consommateur,
constitue le point d’achoppement entre ces deux approches. Ce faisant,
l’opportunité d’une initiative européenne relative aux pratiques déloyales,
prévue par le considérant n°8 de la directive 2005/29/CE, doit être considérée.
L’option retenue en 2005 par la
Commission fait sens au vu du principe de subsidiarité. Elle peut également
s’expliquer par les fortes divergences entre les différentes approches
nationales de la question. Cependant, au-delà même des risques de traitement
incohérent de mêmes pratiques au sein du marché intérieur, il faut mettre en
exergue les difficultés d’articulation entre droit des pratiques déloyales et
droit de la concurrence. Lesquelles difficultés sont d’autant fortes que le
second s’inscrit dans une démarche plus
économique, reposant sur le critère de la maximisation du bien-être du
consommateur. En effet, la protection des concurrents contre les pratiques
déloyales, par exemple face aux abus de dépendance économique, suppose la mise
en œuvre de critères distincts de ceux du droit de la concurrence. Le recours
au seul critère de la maximisation du surplus du consommateur peut se traduire
par la non prise en considération de pratiques pouvant néanmoins compromettre
la pérennité même du processus de concurrence.
Notre propos dans le cadre de cet
article est donc de montrer que le droit de la concurrence et un droit des
pratiques déloyales uniquement articulés autour du consommateur peuvent ne pas
suffire à garantir l’ordre concurrentiel. Il s’agit donc de montrer qu’en la
matière une approche « B2B » est toujours nécessaire. Après avoir
analysé dans une première partie la polarisation de la directive sur la seule
défense du consommateur, nous montrons que le contrôle de l’équilibre des
relations commerciales est une composante essentielle de l’ordre concurrentiel.
Nous établissons ensuite, dans une deuxième partie, que les préoccupations
liées à l’équilibre des relations entre opérateurs du marché ne peuvent être
prises en charge par la seule application des règles de concurrence. Enfin,
nous envisageons dans une troisième partie, à titre de comparaison, la
situation aux Etats-Unis en mettant en regard l’application des règles de
l’Antitrust (Sherman Act et Clayton Act) et celles du FTC Act, notamment en ce
qui concerne sa Section 5. En effet, l’intérêt de l’analyse de la situation
américaine tient au fait que l’action de la FTC dans le domaine repose sur deux
piliers complémentaires. Le premier tient aux unfair acts or deceptive acts or practices (UDAP) visant à la
protection des consommateurs, le second aux unfair
methods of competition (UMC), lequel s’attache aux relations
interentreprises.
Notre objectif est de montrer que
la préservation d’un processus de concurrence par les mérites passe dans une
certaine mesure par une protection des concurrents eux-mêmes, non pas vis-à-vis
de la concurrence en elle-même, dans la mesure où le dommage concurrentiel n’a
pas vocation à être sanctionné, mais vis-à-vis de l’exercice de pouvoirs de
coercition économique par les agents dotés d’un fort pouvoir de marché. En nous
appuyant sur le cas de la FTC nous nous interrogeons l’opportunité d’adjoindre
à la directive de 2005 un texte spécifique pour garantir au niveau européen la
loyauté de la concurrence entre entreprises.
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