vendredi 24 avril 2015

Abus d'exploitation sur le marché de gros de l'électricité - commentaire de la décision Electrabel (collège belge de la concurrence)

Note sur la décision n° ABC-2014-I/O-15 80 du Collège belge de la concurrence rendue le 18 juillet 2014 : "De la difficile caractérisation des abus d’exploitation sur les marchés de gros de l’électricité", 

Revue de droit des industries de réseaux - volume 2015/1, pp.80-102.

 

 

 

Le 18 juillet 2014, le Collège de l’Autorité belge de la concurrence a sanctionné Electrabel, filiale du groupe GDF-Suez, à une sanction pécuniaire de deux millions d’euros pour un abus de position dominante sur le marché de la production, de la vente de gros et du négoce de l’électricité Il s’agit d’un cas rare, dans la pratique décisionnelle des autorités de concurrence européennes, d’une sanction pour abus d’exploitation d’une position dominante. En l’espèce, l’opérateur historique du marché belge de l’électricité a été sanctionné pour avoir pratiqué des marges excessives (de l’ordre de 60 €/MWh) dans le cadre de la vente d’une partie de ses réserves de capacités sur la bourse de l’électricité Belpex DAM.

Ce commentaire illustre les difficultés dans le cas d'espèce - relatif à la réserve tertiaire -  mais également dans le cadre général pour caractériser économiquement et juridiquement de tels abus sur les marchés de l'électricité.


jeudi 16 avril 2015

When Economics met Antitrust : The Second Chicago Scool and the Economization of Antitrust Law - Enterprise and Society

The paper devoted to the economization of the US Antitrust Law is now available online.

http://journals.cambridge.org/action/displayAbstract?fromPage=online&aid=9655860&fulltextType=RA&fileId=S1467222714000184






It deals with the influence of the Second Chicago School on the increasing use of the economic analysis in competition law cases.

This paper is a revised version of  the GREDEG Working Paper published with Patrice Bougette and Marc Deschamps.

http://www.gredeg.cnrs.fr/working-papers/GREDEG-WP-2014-23.pdf


Its abstract :
In this article, the authors interrogate legal and economic history to analyze the process by which the Chicago School of Antitrust emerged in the 1950s and became dominant in the United States. They show that the extent to which economic objectives and theoretical views shaped the inception of antitrust law. After establishing the minor influence of economics in the promulgation of U.S. competition law, they highlight U.S. economists’ caution toward antitrust until the Second New Deal and analyze the process by which the Chicago School developed a general and coherent framework for competition policy. They rely mainly on the seminal and programmatic work of Director and Levi (1956) and trace how this theoretical paradigm became collective—that is, the “economization” process in U.S. antitrust. Finally, the authors discuss the implications and possible pitfalls of such a conversion to economics-led antitrust enforcement.

mercredi 15 avril 2015

La concurrence profite-t-elle au consommateur?

Communication interne au sein de la Délégation Régionale Côte d'Azur du CNRS dans le cadre de son "12-45" dans le contexte de la Loi Macron : "La concurrence profite-t-elle au consommateur?", le 23 avril 2015






1 – Introduction : une politique dont les effets pro-consommateurs constituent la finalité même

a)     Le but affiché de la politique de concurrence actuelle, qui se définit comme se rattachant à une approche économique ou approche par les effets, est de maximiser le bien-être du consommateur

b)     Dans ce cadre, une pratique anticoncurrentielle se définit comme une pratique dont l’effet net pour le consommateur est négatif
Cet effet se mesure au travers de la balance du dommage concurrentiel (renforcement du pouvoir de marché de l’entreprise i.e. capacité à accroître unilatéralement son prix) et des gains d’efficience lié à la pratique.
Il convient de remarquer qu’il n’y a nulle trace de qualification juridique des pratiques dans ce cadre. Ce qui fait la licéité d’une pratique de marché pour le droit de la concurrence, c’est son effet économique

c)     Une vision qui ne fait pas consensus
Cette approche économique est sous-tendue par une notion de compensation hypothétique. Rien ne dit que la firme, dont le pouvoir de marché s’est renforcé, fera bénéficier les consommateurs des gains d’efficience.
De fait le critère est plus celui d’une maximisation du bien-être total que celui du consommateur.
Le critère vient des travaux de l’école de Chicago développés au lendemain du second conflit mondial.
-          Il s’agissait de rompre avec la pratique décisionnelle d’alors (fonctionnement raisonnable de la concurrence, place des PME etc…) et de subsister un critère clair, neutre et opposable aux tiers aux valeurs diverses, contradictoires et difficiles à pondérer qu’utilisaient les juges.
-          Seule l’efficacité économique compte, la question de la répartition (i.e. du Bien-Etre) entre consommateur et producteur ne compte pas
o   La politique de concurrence n’a pas à se préoccuper de répartition ou en d’autres termes de transferts indus de bien-être entre les agents
o   La répartition n’a aucune influence sur l’efficacité économique (cf. débat autour de Piketty)

Cette intervention vise à mettre en lumière les fondements de cette hypothèse d’une politique de concurrence toujours favorable au consommateur. Le développement se fera en quatre parties.
Une première partie présentera les politiques de concurrence et les contestations dont elles pu faire l’objet dans le temps long historique.
Une deuxième partie s’attachera aux gains que peut légitimement attendre le consommateur de la politique de concurrence.
Une troisième partie présentera les conséquences qui peuvent s’avérer négatives pour ce dernier.
Une quatrième partie analysera les conséquences possibles d’une ouverture croissante de certains secteurs à la concurrence en s’appuyant notamment sur quelques exemples tirés de la Loi Macron, actuellement en discussion au Sénat et du récent rapport de l’Inspection Générale des Finances sur les professions réglementées.

2 – La politique de concurrence est cependant une politique publique des plus contestées
a)     Une construction historique récente
L’intuition était déjà présente chez Adam Smith (La Richesse des Nations – 1776).
La première mise en œuvre est à chercher aux Etats-Unis en 1890 avec le Sherman Act (lutte contre les trusts et les comportements de monopolization).
Sa mise en place ne fut que très progressive sur le continent européen.
-          Un refus initial des politiques de concurrence
Selon la Cour Suprême allemande en 1897, les cartels sont légitimes car ils sont fondés sur la liberté contractuelle des firmes.
Selon la Chambre des Lords en 1892 dans l’affaire Mogul Steamships, une stratégie de de prix d’éviction, n’induit pas de dommage pour le consommateur et n’a pas à être sanctionnée.
Cet exemple reflète toute l’ambiguïté de la politique de la concurrence. Si une entreprise est plus efficace que ses concurrentes et qu’elle fait bénéficier les consommateurs de ses gains, elle baisse ses prix et peut susciter la sortie du marché de concurrents moins efficaces. Elle obtient ainsi un pouvoir de monopole. Doit-on sanctionner une firme qui attend cette situation par ses seuls mérites en considérant que le dommage à la concurrence sera irréversible ? Doit-on au contraire sanctionner une firme si la baisse des prix n’est qu’une stratégie transitoire pour faire sortir les concurrents du marché et les remonter ensuite ? Il s’agit ici de la stratégie de prédation qui peut se définir comme un investissement en pouvoir de marché. La difficulté est de dirimer entre les deux situations et d’éviter de sanctionner à tort les firmes qui ont joué le jeu de la concurrence. Il s’agit de l’argument chicagoéen du faux positif. Il synthétise la formule de Coase (1972) selon laquelle quand une firme baisse ses prix par rapport à son concurrent, elle peut être accusée de prédation, quand elle les augmente d’abus d’exploitation vis-à-vis des consommateurs et quand elle les maintient au même niveau de pratiques de collusion.

-          Une mise en place très progressive

Les origines du droit de la concurrence européen sont moins à rechercher dans les exigences des Etats-Unis quant au bon usage des fonds débloqués au titre du Plan Marshall que dans deux lois allemandes sur la concurrence, la première en 1923 édictée par la République de Weimar et la seconde en 1957 en RFA.
Au niveau de l’Union, la politique de la concurrence est liée à deux articles (vagues) du Traité de Rome (1957) et surtout à l’activisme de la Commission et surtout de la Cour de Justice qui se sont saisies de ce levier pour construire le marché intérieur.
Il convient cependant d’insister sur l’existence de législations incomplètes aux Pays-Bas et au Royaume-Uni jusque dans les années 90.

b)     Une politique souvent contestée et remise en cause

a.       Aux Etats-Unis
Dès l’origine du Sherman Act, les économistes américains critiquèrent les présupposés de la politique de concurrence. Pour ces derniers il s’agissait d’une économie de tableau noir. La concentration était vue par ces derniers comme la base de l’efficacité économique. S’ajoutait à ceci une forte méfiance vis-à-vis du rôle des tribunaux.
L’expérience de la crise des années 30 avec les arguments du premier New Deal en faveur d’une concurrence régulée et le NIRA (National Industry Recovery Administration) de 1933 à 1937 témoigne des espoirs et de l’impasse d’une mise entre parenthèses de la politique de concurrence, laquelle a bénéficié aux firmes et non aux consommateurs

b.      Les débats nés lors de la crise de 2008

                                                              i.      Le Traité Constitutionnel de 2005 et les débats quant à la place de la concurrence libre et non faussée annonçaient les contestations futures de la légitimité et de l’efficacité de la politique de concurrence.

                                                            ii.      Crise de 2008 donna lieu à une vive critique de la politique de concurrence
De premiers arguments portèrent sur la nécessité de relâcher les exigences concurrentielles (notion notamment de cartel de crise faisant quelques échos à l’expérience du NIRA).
La concurrence fut également désignée comme l’un des responsables de la crise (cf. secteur bancaire : dérégulation et incitations à la prise de risque)
La concurrence fut également critiquée en ce qu’elle constituerait une anti-politique industrielle conduisant à l’affaiblissement du tissu industriel européen (parallèle avec les Etats-Unis dans les années 70).
Enfin et surtout, les firmes dénoncèrent le caractère disproportionné des sanctions pour les firmes. Les arguments de la faillite possible de la firme sanctionnée et du coût économique du faux positif furent mis en avant : la politique de concurrence érigée en dogme irait à l’encontre des intérêts du consommateur.
3 – Une politique a priori toujours favorable au consommateur : les arguments économiques
a)     Transfert de bien-être entre les agents : confiscation du surplus du consommateur
L’absence ou l’insuffisance de concurrence se traduit par des pouvoirs de marché privés qui conduisent à l’extraction d’une rente indue au détriment des consommateurs. Il s’agit donc de la capacité à fixer les prix au-delà du niveau concurrentiel et donc d’opérer un transfert de bien-être au détriment des agents dépourvus de pouvoir de marché, i.e. dépourvus de solutions alternatives. De façon brutale nous pourrions dire que le monopole ou le cartel revient à ce que des pouvoirs économiques privés soient en mesure de prélever une taxe sur les consommateurs. Si l’on considère que la répartition du bien-être a un impact sur le potentiel de croissance d’une économie, alors ces transferts peuvent être de nature à porter préjudice à celle-ci.
b)     Perte sèche par rapport à l’équilibre de concurrence pure et parfaite
Il serait également possible de considérer d’un point de vue strictement microéconomique que l’exercice d’un pouvoir de marché engendre une perte sèche de bien-être pour l’économie dans son ensemble. En effet, de façon schématique, un prix d’équilibre plus élevé que le prix de concurrence parfaite se traduit par de moindres quantités échangées à l’équilibre.
c)     Le coût incitatif : les inefficiences dynamiques
Au-delà de ces conséquences dommageables à court terme (i.e. les effets redistributifs et la perte sèche de bien-être), l’absence de pression concurrentielle liée à l’existence d’un cartel ou d’une dominance individuelle exercée de manière abusive se traduit par un amoindrissement des incitations à investir et à innover. Il s’agit en d’autres termes d’une inefficience dynamique. L’économiste anglais John Hicks écrivait dès 1935 que le principal gain du monopole n’était pas de pouvoir placer ses prix de façon durable au-dessus du niveau concurrentiel mais de bénéficier d’une vie paisible (quiet life).
En d’autres termes, le caractère éminemment transitoire, instable et précaire de la position dominante dans un marché concurrentiel laisse la place à un environnement maîtrisé. L’entreprise n’a nul besoin d’investir et de prendre des risques. Le consommateur y perd inexorablement en termes d’offre de nouveaux biens et services. Le secteur des logiciels est pleinement représentatif de ces dynamiques (voir l’évolution du pouvoir de marché de Microsoft entre la fin des années quatre-vingt-dix et le début des années deux mille). Il en va de même pour celui du secteur aérien. La libéralisation du ciel européen a permis – comme quelques années auparavant aux Etats-Unis – l’émergence de compagnies à bas coûts qui proposent aux clients de nouvelles dessertes et offrent des prix permettant de démocratiser l’accès au transport aérien.
Nous pourrions donc dire en première approximation que la concurrence profite par définition au consommateur et constitue somme toute l’équivalent de la démocratie dans la sphère économique. La démocratie est l’outil de la dispersion du pouvoir dans la sphère politique, la concurrence l’est dans la sphère économique.
Qui plus est la politique de concurrence permet également que les opportunités des PME soient préservées – par exemple en matière d’accès aux marchés – et dans une certaine mesure de sanctionner les abus de dépendance économique qui peuvent découler de la dissymétrie des pouvoirs de marché.
4 – De possibles effets négatifs pour le consommateur à prendre en considération
a)     Diversité de l’offre et différenciation des besoins du consommateur
Premièrement, la finalité de la concurrence est souvent réduite à la seule efficacité allocative de court terme. Il s’agit du critère du bien-être du consommateur qui se réduit à la dimension du prix. Or, le consommateur peut avoir intérêt à la préservation d’une diversité de choix. En d’autres termes même si une entreprise est plus efficace que sa concurrente, la sortie du marché peut induire un double préjudice pour le consommateur. Premièrement, il perd la possibilité d’adresser sa demande à un offreur alternatif qui pourrait offrir des biens et services différenciés, soit de meilleure qualité, soit dont les caractéristiques sont plus adaptées à ses besoins.
b)     Pluralisme de l’offre
Deuxièmement, une concurrence qui se traduit par l’éviction d’offreurs même « moins performants » peut s’avérer préjudiciables dans certains secteurs, notamment en ce qui concerne les médias. Il existe un intérêt collectif, allant au-delà de la maximisation du bien-être, qui tient à la préservation d’une pluralité des sources d’information.
c)     L’argument de la concurrence potentielle
Troisièmement, si la firme dominante évince du marché sa concurrente, elle ne sera plus incitée à innover et n’aura à terme aucune raison de ne pas abuser de sa dominance en augmentant ses prix. Ainsi, dans une certaine mesure protéger le processus de concurrence sur le long terme peut conduire à protéger les concurrents et non la concurrence conçue comme la minimisation du prix payé à court terme. Même si le marché est dépourvu de barrières à l’entrée, la concurrence d’une firme immédiatement présente et devant s’assurer un minimum de chiffre d’affaires est toujours plus forte que celle d’une firme qui devra d’abord investir puis pénétrer le marché.
d)     Question de l’irréversibilité de la dominance
La dominance peut devenir irréversible si le secteur se caractérise par des rendements croissants et de forts effets de réseau comme cela peut s’observer sur le marché des plateformes d’intermédiation électronique.
e)     Effets adverses potentiels de la concurrence sur la qualité du service
Quatrièmement, comme l’a montré le débat sur les professions réglementées dans le cadre de la loi Macron, encourager la concurrence sous la forme d’une libéralisation des conditions d’entrée dans une profession peut avoir certains effets négatifs sur le consommateur dont il convient de mesurer les conséquences potentielles. En effet, il existe de nombreuses activités pour lesquelles la qualité du service proposé n’est pas observable ex ante et est même souvent difficile à évaluer ex post. Il en est ainsi pour certaines professions juridiques (par exemple les avocats) ou médicales. La dérèglementation des professions concernées peut avoir des effets négatifs sur la qualité du service rendu au client. Le risque est celui d’un alignement vers le bas de la qualité des services prestés qui portera inexorablement préjudice au consommateur.
Cette possible relation entre degré de concurrence et qualité du service peut être transposée à d’autres secteurs, notamment dans les industries de réseaux et les infrastructures publiques. Favoriser l’entrée de nouveaux concurrents peut réduire les capacités financières de certains groupes à investir dans la qualité et la sécurité de leur réseau. De la même façon, libéraliser la commercialisation de médicaments non soumis à prescription médicale sans garde-fou peut se traduire par des comportements de surconsommation ou de mauvais usages de certains principes thérapeutiques pouvant s’avérer particulièrement coûteux en termes de santé publique.
5 – Libéralisation, ouverture à la concurrence vs déréglementation
Ce tour d’horizon pose en filigrane la question de la désirabilité en elle-même de l’intensification du degré de concurrence dans telle ou telle branche, comme l’illustrent les débats actuels autour de la Loi Macron. Il ne faut pas oublier que souvent les réglementations jouent le rôle de barrières à l’entrée sur un marché donné et profitent in fine plus aux entreprises réglementées qu’au consommateur lui-même.
a)     Barrières à la concurrence et rentes illégitimes
La réglementation en protégeant certaines activités de la concurrence crée des rentes de situations qui induisent un coût réel pour la compétitivité de notre économie en augmentant un dualisme extrêmement préjudiciable entre un secteur protégé dans lequel les niveaux réels de prix croissent depuis de nombreuses années et un secteur ouvert à la concurrence internationale où les prix sont structurellement orientés à la baisse et pour lequel la compétitivité est érodée par le coût des intrants issus de ce secteur protégé. De la même façon, la réglementation – par exemple des barrières à l’entrée de type numerus clausus ou autorisation administrative d’installation – sera d’autant plus défendue face à l’ouverture à la concurrence que les gains qu’elle produit sont concentrés sur quelques acteurs et les coûts qu’elle induit étalés sur l’ensemble de l’économie.
Pour autant, l’option d’une ouverture pure et simple à la concurrence doit être envisagée avec précaution.
-          La question des coûts échoués
Il convient tout d’abord de considérer que les professionnels qui ont investi font face à une problématique de coûts échoués. En d’autres termes, les entrepreneurs qui ont engagé des fonds pour rentrer sur le marché sous l’empire de la précédente réglementation perdraient une part significative de leurs investissements si le marché était brusquement ouvert sans condition (songeons aux licences pour les taxis). Une compensation (de type rachat de licence) pourrait alors être nécessaire alors qu’elle serait excessivement coûteuse pour les budgets publics. Notons que cette disposition est prévue dans la loi Macron pour les notaires mais induit des risques en termes de barrières à l’entrée et d’incitations à la mise en œuvre de pratiques collusives ex post.
-          L’augmentation du nombre des offreurs fait-elle inexorablement baisser les prix ?
Ensuite, il n’est pas acquis que l’augmentation du nombre de firmes présentes sur un marché donné se traduise inexorablement par une baisse des prix. Par exemple, la libéralisation des conditions d’exercice de la profession d’avocat en Angleterre et au Pays de Galles s’est certes traduite par l’augmentation spectaculaire du nombre de professionnels mais n’a pas induit une baisse significative des prix pour le consommateur. Les nouveaux entrants peuvent en effet aligner leurs prix sur les professionnels déjà installés.
En d’autres termes, l’augmentation du nombre d’offreurs n’a pas toujours pour conséquence un gain pour le consommateur en termes de prix. Si les firmes ne se livrent pas une guerre des prix et si elles ajustent leurs conditions tarifaires sur une firme « barométrique » ou un « chef d’orchestre » alors les gains peuvent demeurer illusoires. Un nouvel entrant qui vient de consentir de lourds investissements peut avoir un avantage direct à une stabilité des prix, pour rembourser ses emprunts. Il n’adoptera un comportement de franc-tireur (ou de maverick selon la dénomination britannique que si et seulement si sa structure de coût est significativement différente de celle des firmes installées).
De façon plus générale, la littérature économique ne fournit pas de lien univoque entre nombre de firmes sur un marché donné, intensité de la concurrence et baisse des prix pour le consommateur. Des marchés avec un seul acteur peuvent se caractériser par des prix de concurrence parfaite s’il n’existe pas de barrières à l’entrée. Il s’agit ici de la théorie des marchés contestables. Des marchés avec de nombreux concurrents peuvent se caractériser par des prix stables et élevés si les similitudes entre les firmes (en termes de produits, de coûts de production, etc….) les amènent à prendre conscience de leur interdépendance et à réaliser qu’une baisse des prix individuelle sera suivie par tous et n’aura pas d’impact sur les parts de marché relatives. Il s’agit en l’espèce d’une situation de collusion tacite ou de position dominante collective. Il n’y a pas d’entente anticoncurrentielle au sens formel du terme mais les firmes ont un intérêt au statu quo.
-          Excès d’offre et dommages au consommateur
Enfin, une politique qui conduirait à encourager les entrées dans une branche donnée peut avoir des effets négatifs pour les firmes présentes mais aussi pour les consommateurs. Une concurrence peut être destructrice (on parlait dans l’entre-deux-guerres de concurrence coupe-gorge) si elle conduit à un excès d’offre. Si les firmes n’arrivent pas à amortir leurs coûts fixes, il peut s’ensuivre une baisse des prix réelle (il est préférable d’opérer même à perte si l’on couvre ses coûts variables et au moins une partie de ses coûts d’infrastructures). Celle-ci n’est cependant pas viable sur le long terme dans la mesure où elle se soldera par des restructurations industrielles. Sans aller jusqu’à cet extrême nous avons déjà noté qu’un renforcement de la concurrence peut avoir pour effet de priver les firmes des capacités à investir dans la mesure où les incertitudes sur les possibilités de valorisation future des investissements réalisés sont plus fortes. A ce titre, des barrières à l’entrée liées à la réglementation peuvent permettre aux firmes de bénéficier d’une visibilité de long terme suffisante pour engager des investissements et de prix suffisamment rigides pour permettre un accès aux financements.


Au final, la concurrence bénéficie sur le principe au consommateur et à l’économie. Cependant, celle-ci ne doit pas être saisie comme un dogme mais doit voir ses effets évalués avec pragmatisme. Elle ne doit pas par exemple conduire à une concentration excessive de l’offre qui irait au détriment des intérêts de long terme du consommateur. De la même façon, une ouverture à la concurrence de certains marchés réglementés doit voir ses effets évalués avec le plus grand soin en tenant compte des impacts possibles sur la qualité des services et sur le tissu industriel concerné.