lundi 30 novembre 2015

Enjeux économiques, concurrentiels, fiscaux et sociétaux de la révolution numérique



Intervention dans le cadre des grandes conférences des cinquante ans de l'Université Nice Sophia Antipolis le 30 novembre 2015 à Sophia Tech. Cette conférence sur le thème de la révolution numérique a notamment donné lieu à une table ronde sur les implications territoriales. Le texte support de ma participation est disponible infra.


Les enjeux économiques, concurrentiels, sociaux et territoriaux de la révolution numérique
Quelle appréhension économique d’une possible uberisation ?



Il s’agit dans le cadre de cette table-ronde de prendre en considération le potentiel de création de valeur des réseaux basés sur les nouvelles technologies numériques, d’identifier les nouveaux modèles d’affaires qu’il peuvent faire émerger, leurs impacts économiques et sociaux, ainsi que leurs répercussions concurrentielles et enfin d’en saisir notamment les enjeux territoriaux.
A cette fin, nous développerons notre propos en trois parties. La première montrera de quelle façon ces nouveaux acteurs bouleversent la donne concurrentielle et s’interrogera sur la possibilité que cette nouvelle économie donne lieu à une destruction des anciennes structures économiques qui soit bien créatrice et non pas seulement désagrégatrice. La deuxième partie s’interrogera sur les caractéristiques de cette économie qui vient. S’agit-il d’une économie coopérative ou d’un paroxysme d’une économie globale et financiarisée ? Quels sont les impacts potentiellement déstabilisateurs pour les territoires non seulement en termes de localisation des firmes mais aussi en termes de ressources fiscales ? La troisième partie s’attachera aux conséquences sur les salariés et les indépendants qui s’engagent dans cette nouvelle économie et essaiera de dresser les frontières de ce mouvement d’ubérisation.
I - Le bouleversement de la donne concurrentielle : une destruction créatrice ?
A l’instar des deux premières révolutions industrielles, la révolution numérique déstabilise en profondeur les structures du passé (1). Pour autant, il ne peut être acquis que cette destruction soit inexorablement créatrice (2). Ce faisant, un accompagnement public semble indispensable pour accompagner les reconversions et tenter de réguler ces nouveaux marchés (3).
I-1       Une destruction inexorable de vieux modèles :
La régulation publique est souvent accusée d’être capturée par les groupes d’intérêts. Dans le même temps, la révolution numérique a pour effet de bouleverser l’équilibre économique de nombreux secteurs, privant ceux qui ont investi pour entrer sur le marché de rentabiliser leurs investissements. Le risque pour certains acteurs, à l’instar des chauffeurs de taxis, est même de perdre l’intégralité de la valeur de leur investissement initial dans la mesure où ils avaient dû acquérir une licence pour entrer sur le marché, licence qu’ils ne pourront plus céder à titre onéreux si l’entrée sur le marché est désormais libéralisée. Ce faisant, il convient de prévenir le risque de voir se développer une action publique retardant des ajustements inexorables et même souhaitables au point de vue collectif. La réglementation pourrait se voir instrumentalisée, détournée, à des fins de protection d’intérêts corporatistes au détriment des consommateurs et de l’ensemble des acteurs de l’économie. Il convient donc de ne pas protéger des corporations au détriment de l’intérêt général.
En d’autres termes, la révolution numérique bouleverse certes des situations acquises et met en cause la rentabilité économique d’investissements passés. Elle contribue cependant à peser sur le coût des services et donc joue favorablement sur le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité de notre économie.
Nous pourrions dire que l’effet de cette révolution numérique conduit à rebattre les cartes d’une façon très prévisible au vu de la théorie économique en réduisant la place des entreprises et en accroissant celle du recours au marché. Cela peut se penser aisément au travers de la théorie des coûts de transaction, laquelle remonte à 1937 (Coase). Pour celle-ci la séparation entre marché et hiérarchie dépend de ces coûts de recours au marché (coûts de recherche et coûts de contractualisation ex ante et coûts de surveillance ex post). La révolution numérique a pour effet de laminer ces coûts et donc de faire évoluer les frontières entre relation d’emploi et recours au marché de services externes. Cette baisse des coûts de transaction est en elle-même une bonne nouvelle. : Ces coûts reviennent à des frottements dans le cadre du recours au marché. Ils génèrent des pertes sèches pour les deux contractants. Ce faisant leur baisse accroît leur bien-être mais fait dans le même temps des perdants, pour les entreprises qui les prestaient.
Il n’en demeure pas moins que la révolution toujours en cours… et risque fort, comme d’autres avant elle, de dévorer ses enfants ! En effet, dans un monde technologique extrêmement turbulent, les positions dominantes aujourd’hui ne seront assurées qu’un temps extrêmement limité. Par exemple, le développement d’Uber lui-même sera très bientôt remis en cause par le développement des véhicules autonomes. De la même façon de nouveaux modes de partages, de propriété collective de certains actifs pourraient bientôt mettre en cause le modèle de certains sites de location entre particuliers, etc…
Il convient en tout état de cause de souligner un spécifié de cette nouvelle révolution numérique. Son fonctionnement est quelque peu paradoxal. Une grande partie de la richesse créée par l’économie numérique tient à la production ou à la collecte de données qui ne sont pas le fait des salariés mais des utilisateurs / consommateurs eux-mêmes soit à titre gratuit soit en guise de rétribution implicite d’un service rendu gratuitement.
I-2 Une création non assurée en elle-même :
Une nouvelle économie se dessine précipitant la disparition d’anciens modèles d’affaires. Cette disparition est bien plus rapide que dans le cadre des précédentes révolutions industrielles. Comparaison n’est pas raison mais cette évolution tient en grande partie d’une théorie du choc. Le nouveau modèle peut connaitre des difficultés de mise en place (la concurrence est aussi une logique d’essais et d’erreurs) et le chaos et la désorganisation peuvent guetter. En effet, les gains peuvent être extraordinairement concentrés sur certains voire être dissipés à l’extérieur. La construction d’une nouvelle régulation, d’une nouvelle cohérence économique peut être très difficile et bien plus longue que la première phase de destruction.
I -3 La nécessité d’un accompagnement public pour gérer les transitions et engager les réformes structurelles nécessaires
Face à ces enjeux les pouvoirs publics ont un triple rôle à jouer. Ils doivent à la fois faciliter la transition, accompagner et préparer les ajustements de la structure productive et des acteurs de l’économie à cette nouvelle donne et enfin demeurer des régulateurs attentifs du marché.
Les pouvoirs publics doivent d’abord assumer un rôle de facilitateur de la transition dans le cadre du « choc concurrentiel ». L’Etat n’a pas seulement un rôle d’Etat brancardier mais de facilitateur des reconversions, voire de compensation des perdants. Il peut en être ainsi des investissements réalisés par les notaires ou les taxis au titre du droit de présentation. Il convient de façon plus générale de prendre en compte l’impact pour des entreprises et leurs salariés de la fin de la protection liée à des mécanismes de type numerus clausus. Il convient en effet de souligner qu’un changement fait toujours des perdants. Adopter un critère de Pareto serait catastrophique en termes collectifs. Il faut mettre en œuvre un critère de Kaldor-Hicks à ceci près que la compensation ne doit seulement rester hypothétique sinon les gains d’efficacité pourraient être trop inégalement concentrés dans la société.
L’Etat doit aussi prendre en charge un rôle de préparation et d’accompagnement de l’adaptation de l’économie et des salariés à cette nouvelle économie. Il en est ainsi des réformes de structures (voir la Loi Macron I ou encore les préconisations OCDE pour la France à l’automne 2014,…) mais aussi de la nécessité de repenser la politique d’éducation et d’enseignement supérieur (formation initiale, formation tout au long de la vie).
L’Etat doit enfin assumer un rôle de régulation. Il n’est en effet pas acquis que les marchés soient toujours, parfaitement et instantanément autorégulateurs. Il se peut que cette révolution qui vient... et qui ne fait que commencer creuse des inégalités, créé des situations d’abus de pouvoir économique qu’il faudra réguler ou dont il s’agira de limiter les effets.
Une première voie, évidente, est la voie concurrentielle. La position ultra-dominante est naturelle dans ces industries où jouent à plein les effets de réseaux et les rendements croissants. Le modèle de la concurrence pure et parfaite est peut-être une spécificité des deux premières révolutions industrielles (Varian et al., 2004 cité par Cayla, 2014). Il ne s’agit pas de contrecarrer des évolutions naturelles des marchés au risque de priver les consommateurs des gains qui pourraient en résulter, il s’agit de maintenir la possibilité d’entrée, d’émergence de nouveaux acteurs (i.e. la contestabilité des marchés) et d’éviter que les firmes puissent verrouiller les consommateurs (effets de verrouillages au sein de silos) ou abuser de leur position de marché en termes d’éviction de services concurrents ou d’exploitation de leur puissance de marché, par exemple en plaçant certains de leurs partenaires en situation de dépendance économique. De la même façon, il convient d’éviter que les plateformes ne se transforment en régulateurs privés des prix, en cartels électroniques.
Une voie dérivée est celle du droit du travail. En effet, pour les personnes travaillant dans le cadre de cette nouvelle économie, il n’y a plus de liens de subordination juridique comme dans la relation d’emploi classique. Pour autant, il y a une situation indéniable de dépendance économique, surtout dès lors qu’il ne s’agit plus de complément de salaire mais de revenu principal. Une analyse juridique substantielle, dépassant les qualifications habituelles liées au formalisme juridique, analyse développée au sein de notre propre université, permettrait de conclure au fait que le déséquilibre n’a pas disparu…. Il s’est même renforcé, les garanties dont disposaient les salariés étant dans ce nouveau cadre dramatiquement limitées. Il peut s’ensuivre une requalification des contrats signés avec des firmes de type Uber en contrats de travail, sur l’exemple de ce qui a été fait au printemps derniers en Californie. Les travailleurs pourraient être réintégrés en fonction de critères simples. Nous pourrions citer en exemple les propositions de critères formulées par Robert Reich : plus de 50% des revenus d’activité ou plus de 50% des heures de travail au profit d’un acteur vaudrait requalification du contrat en contrat de travail.
II - Quelques interrogations sur les caractéristiques de cette économie qui vient
Il convient ensuite de s’interroger sur les caractéristiques économiques de cette révolution numérique. Sommes-nous réellement dans le cadre d’une économie du partage ou dans une logique globalisée et financiarisée que d’aucuns pourraient baptiser de turbo capitalisme (1 et 2). De la même façon quelles peuvent être les conséquences pour les territoires en termes de localisation des activités (3) et des collectivités publiques en termes de ressources fiscales (4) ?
II-1 Economie coopérative ou turbo-capitalisme ?
Il s’agit tout d’abord de savoir de quelle économie nous parlons. Il peut s’agir de l’économie du partage, de l’économie du partage des restes ou plus simplement d’une nouvelle organisation des entreprises? Par certains égards l’entreprise sans usine d’il y a dix ans, devient aujourd’hui l’entreprise sans salariés : le coût de la flexibilité, des ajustements est rejeté sur les salariés qui sont devenus des contractants indépendants. Le modèle porté par la nouvelle révolution numérique peut être celui de la gig economy. Chaque projet d’une entreprise est mis en œuvre par une coalition ponctuelle de prestataires indépendants et non principalement par des salariés.
Au-delà de l’intérêt pour les entreprises, en termes d’efficacité, de réunion de compétences et de flexibilités, est-ce que les acteurs profitent-ils réellement de leurs implications ? Pour certaines compétences rares, le modèle est celui du monopole bilatéral. Cela n’est pas acquis loin s’en faut pour des compétences génériques. Soit les prix sont déterminés unilatéralement par la plate-forme soit ils résultent d’une enchère en temps réel individuelle et non d’une négociation collective comme cela était le cas dans le vieux monde du salariat. Il peut s’ensuivre une atomisation du monde salarial et une augmentation du déséquilibre dans les négociations entre l’employeur et le prestataire qui n’est plus employé. Cela peut revenir aux analyses de Robert Reich pour lequel il peut s’agir d’une sharing the crumbs economy (sharing the scraps) et non pas d’une sharing economy. L’exemple du Mechanical Turk d’Amazon, qui consiste dans un paiement de l’ingénieur fee-lance à la tâche pour résoudre des bogues, pour tester des algorithmes, montre que le retour du paiement à la pièce peut avoir des effets ambivalents…dès lors qu’il s’agit d’une activité principale et non d’un complément de revenus.
II.2 - Les gains ne sont-ils pas accaparés par des acteurs répondant à une logique d'économie financiarisée ?
Il convient de souligner l’existence d’une logique financière propre aux nouvelles plateformes qui ne sont pas des acteurs de l’économie sociale et solidaire mais des acteurs de marché comme les autres. L’exemple de Blablacar est topique. 8 sociétés ont été rachetées en 3 ans dont son principal concurrent allemand et plusieurs levées de fonds ont été opérées, levées qui font que de grands fonds d’investissement américains siègent désormais à son capital. De la même façon, on peut relever l’entrée dans le domaine de grands acteurs de l’économie traditionnelle. Par exemple le numéro de novembre de Terra Eco souligne qu’Engie crée une plateforme d’investissement coopératif dans les énergies vertes (green channel), que la SNCF rachète une société spécialisée dans le covoiturage et lance IDvroom, que des magasins de bricolage entrent sur le marché des locations d’objets entre particuliers et que des réparateurs automobiles entrent sur celui du partage de vélos électriques ou encore sur du covoiturage.
II-3 Dé-territorialisation des firmes ? Quelles retombées locales ?
Au niveau territorial des paradoxes sont à relever. S’agit-il vraiment d’une apparition d’acteurs de proximité ou combinaison cycle-court et globalisation exacerbée ? En effet, l’économie numérique a pour effet d’éloigner les lieux de création de la valeur ajoutée des lieux de consommation.
Il convient de s’interroger quant aux conséquences sur les acteurs économiques territorialisés. Quelles sont les capacités de résistances des acteurs locaux qui investissent dans des infrastructures matérielles et dans leurs salariés ? Peuvent-ils faire face aux distorsions de concurrence par rapport à ces nouveaux acteurs ? Ne risquent-il pas de sortir du marché ?
Ne font-ils pas l’objet de traitement « discriminatoire » au point de vue fiscal mais aussi au point de vue de la politique de concurrence. Les opérations de concentration entre distributeurs d’électroménagers font face à un contrôle concurrentiel et de la même façon la concurrence entre distributeurs dans le commerce de détail suscite souvent des préoccupations de la part du législateur, comme le montre la loi Macron I avec le projet d’injonctions structurelles, rejeté par le Conseil Constitutionnel. Pour autant, il n’est plus acquis que la concurrence se joue-encore entre Carrefour et Auchan ou plutôt déjà avec Amazon ?).
En matière d’impact territorial, il convient néanmoins de raisonner en retombées nettes pour l’économie locale, en veillant à ne pas identifier l’impact sur les concurrents avec l’impact sur l’économie ! Une discussion autour des retombées d’AirBnB par exemple pourrait être envisagée.
II-4 Quelles conséquences fiscales ?
La révolution numérique induit une double révolution en termes fiscaux. Elle se traduit par une: extrême mobilité des bases fiscales et par des stratégies d’optimisation fiscale en termes de localisation des profits et, dans le même temps, suscite une mise en question du financement de la protection sociale. En effet, les consommateurs et les utilisateurs créateurs de richesses sont partout dans le monde, notamment dans les grands états mais la localisation des sociétés est liée à une stratégie d’optimisation fiscale, en d’autres termes de law shopping. De plus, le modèle économique ne repose pas sur la distribution de dividendes taxables mais sur le réinvestissement des gains. Ce faisant le potentiel de taxation en encore moindre.
Quelles peuvent alors être les solutions ? Une première est une concurrence fiscale, un alignement vers le bas. Une deuxième malheureusement bien moins probable est une harmonisation internationale. Il est cependant possible de rechercher une troisième voie consistant dans la mise en place de nouvelles formes de fiscalité, portant notamment sur les données comme le montre le rapport de janvier 2013 sur la fiscalité du numérique. Nous aborderons ce point dans notre troisième partie.
III - Quid des conséquences sociales ?
Il s’agit dans cette dernière partie de s’interroger sur les conséquences sociales de cette révolution numérique en envisageant successivement le cas des consommateurs (1), des salariés ou prestataires (2) et enfin celui de l’économie dans son ensemble (3).
III-1 Un enrichissement a priori évident pour les consommateurs ?
Le consommateur bénéficie a priori de cette nouvelle économie qui concilie souvent baisse des prix et absence de dégradation de la qualité du service. Nous retrouvons ici un des avantages théoriques de la baisse des barrières à l’entrée sur des marchés autrefois protégés par des règlementations malthusiennes profitant tout d’abord et peut-être principalement aux acteurs régulés eux-mêmes. Il n’en demeure pas moins que les consommateurs sont également sont dans cette nouvelle économie des producteurs de contenus et de services. Leur paiement se fait aussi par la production des données au profit des plateformes
III-2 Un enrichissement pour certains « salariés »
Il peut exister des gains indéniables pour certains salariés. Ceux-ci passent d’un modèle de salariat à un modèle de projet – nous devenons tous entrepreneurs. Il cependant possible de formuler une interrogation sur la généralisation du modèle de l’expert / consultant enchaînant les missions. Cette interrogation porte plus globalement sur le retour du modèle du travail à la demande. Le modèle de la gig economy correspond bien aux intérêts de certains salariés aux compétences très pointues qui pourront passer d’un projet à un autre et qui donc seront particulièrement attractifs pour les entreprises. Les attirer sur un projet donné sera un élément critique dans le succès d’une entreprise, donc un enjeu déterminant pour sa fonction RH (dont le type de mission va évoluer) comme le montre par exemple le récent article publié dans la Harvard Business Review : « Your Company Needs Independent Workers » (par Steve King et Gene Zaino le 23 novembre 2015). Cependant, pour certains la cité par projets ne pourra se substituer à la cité industrielle (pour reprendre la terminologie de Boltanski et Chiapello, 1999) i.e. à la logique fordiste, l’implication dans ces nouvelles activités tient plutôt à un complément de salaire indispensable pour les working-poors.
III-3 D’une économie du partage ou une économie du partage des restes ?
Il s’agit donc de s’interroger sur les impacts sociaux de cette révolution numérique sur la protection sociale qui est, elle, demeure fondé sur le salariat et sur les politiques publiques qui sont également financées par les impôts, à la fois sur les revenus, sur le travail et sur les sociétés.
Une première question est celle de la sécurisation des parcours et fait écho au compte personnel d’activité. L’enjeu de l’uberisation est celui de la transformation du modèle d’activité voire celui de la disparition du salariat. Un double phénomène est à relever. Avant même l’uberisation, on pouvait relever une quasi-disparition du modèle du CDI, la montée des contrats courts, des contrats précaires de l’intérim et plus récemment des logiques d’auto-entrepreneuriat. Quel est l’intérêt d’une telle évolution pour les firmes ? C’est un surcroît d’agilité dans un monde économique globalisé qui nécessite une flexibilité de tous les instants. L’ubérisation permet de matérialiser au moins pour partie l’utopie de l’entreprise sans usine et sans salariés.
Les conséquences pour les salariés doivent cependant être envisagées ? Le modèle du working poor concerne déjà 25% des salariés US selon Robert Reich avec une augmentation de 15% en 10 ans. La précarité concerne 40% de la population active américaine. Ces salariés se trouvent dans la nécessité de trouver des compléments de revenus….voire souvent le revenu principal lui-même.
Ce modèle a des impacts pour les salariés en particulier et pour le système social en général qui doivent être questionnés. Son instabilité met en cause la construction des projets de vie pour les salariés, leur accès au crédit, leurs couverture santé et couverture chômage ainsi que leur accès à la formation continue. Il convient également de considérer les impacts sociétaux. La déstructuration des horaires, la non-prévisibilité des plannings ont des effets très négatifs sur la vie familiale et notamment sur le parcours scolaire et le développement des enfants (l’uberisation touche surtout des familles précarisées). Il convient enfin de souligner les impacts économiques globaux. En effet, la protection sociale, l’assurance chômage est financée sur le modèle du salariat (logique fordiste).
Il est donc nécessaire de passer sur de nouveaux supports de financement. L’ancien système ne peut plus être. La révolution numérique bouleverse définitivement les modèles passés. Cependant si la flexibilité est indispensable, les garanties pour la force de travail le sont également. Les besoins des agents économiques peuvent se résumer en deux mots : sécurité et décence pour reprendre les termes de Robert Reich. La sécurisation des parcours correspond au compte d’activité ou plus globalement à la flexisécurité. Il faut peut-être songer de passer de l’assurance chômage à un mécanisme d’assurance-revenus. Les travaux de l’observatoire de l’uberisation montrent la nécessité de repenser à cette aune la fiscalité, la protection sociale ou encore la législation du travail
Une seconde adaptation essentielle est en tout état de cause celle de la fiscalité. Il s’agit de s’interroger sur le risque de voir l’impôt se concentrer sur les bases fiscales les moins mobiles (de l’IS à l’IRPP) voire vers la seule consommation. ? Il s’agit également de s’interroger sur effets sur la (re)distribution du bien-être dans l’économie. Il convient de se reporter sur ce sujet au rapport sur la fiscalité du numérique de Pierre Collin et de Nicolas Colin (janvier 2013). Celui montre que la valeur créée par l’économie numérique échappe à la taxation et donc à la redistribution et s’interroge sur les nouvelles bases de taxation. La proposition est de taxer les données avec le principe de prédateur-payeur sur le modèle du pollueur-payeur. Elle mérite indubitablement d’être débattue quant ses effets et la possibilité qu’elle puisse être mise en œuvre.
Un dernier point, de nature conclusive, tient à l’extension du domaine de l’uberisation. Elle ne concerne pas seulement les métiers modérément qualifiés, déjà des services à haute valeur ajoutée jusqu’ici protégés de la concurrence internationale ou protégés par la réglementation.
Il en est ainsi des métiers de la banque et du droit. Le secteur bancaire est déjà mis à mal par la numérisation. La reconversion à venir a pu déjà être comparée – avec exagération – à celle de la sidérurgie dans les années 80. Ce ne sont pas que les métiers de guichet qui sont concernés. Des sites de financements coopératifs concurrencent des banques.
Les professions du droit seront touchées au même titre que celle du chiffre. Il est possible de citer deux exemples. Le premier est celui des contrats intelligents. Le concept de blockchain est particulièrement intéressant. Il s’agit de contrats autonomes qui s’exécutent automatiquement (contingences très complexes prises en compte en temps réel, révision des obligations automatique de façon très transparente). Cela améliore de la sécurité juridique des acteurs mais marque dans le même temps la fin des modèles d’affaires standards de certains cabinets d’avocats. Le gain est peut-être certain pour l’économie si l’on raisonne en termes de réduction des coûts de transaction mais quid sur l’emploi dans le secteur et quid de notre offre de formation universitaire ? Ce phénomène s’est étendu dès les années 90 sur les résolutions des litiges en ligne. Les sites virtual magistrate et online ombuds office (arbitrage et médiation – déjà quelques affaires dont eBay) avaient ouvert la voie. Depuis on assiste à une explosion des modèles de médiation en ligne. Elles sont à l’heure actuelle assurées par des systèmes experts (modèles Ecodir : electronic consumer consumer dispute resolution et Square trade (eBay)). Des services de type Cybersettle (fondée en 1996) sont même utilisés par des collectivités publiques.

mardi 24 novembre 2015

The Regulatory Practice of the French Financial Regulator, 2006-2011 – From Substantive to Procedural Financial Regulation

A paper written with Thierry Kirat on "The Regulatory Practice of the French Financial Regulator, 2006-2011 – From Substantive to Procedural Financial Regulation".

“The Regulatory Practice of the French Financial Regulator, 2006-2011 – From Substantive to Procedural Financial Regulation”,, Journal of Governance and Regulation, volume 4- 2015, Issue 4 (continued – 4), pp.441- 450.

 http://www.virtusinterpress.org/IMG/pdf/JGR__Volume_4_Issue_4_2015_Continued4_contents.pdf

Its short abstract : 


Fraud and misconduct in financial markets have recently become a key regulatory issue against the backdrop of the financial crisis. This paper investigates the sanctions policy and practices of the French financial regulator, Autorité des Marchés Financiers (AMF). It argues that, over time, the AMF has shifted from substantive to procedural regulation of finance. This shift consists in departing from sanctions based on observed outcomes in the market and, instead, assessing how the internal organizational schemes of financial firms actually perform. The AMF's new policy and practice involves a process of legalization of organizations; it also evidences a tendency to delegate regulation to financial firms themselves.