Une contribution avec Hugues Bouthinon-Dumas (ESSEC) dans un ouvrage sur les fonds d'investissements dirigé par Thierry Granier (Aix-Marseille Université) sur le thème des fonds publics d'investissement stratégique à l'épreuve du contrôle européen des aides d'Etat.
"Les fonds publics d'investissement stratégique à l'épreuve du contrôle européen des aides d'Etat" avec Hugues Bouthinon-Dumas, in Thierry Granier (ed), Les fonds d'investissement, Collection Lamy Axe Droit, pp.330-352
Quelques lignes d'introduction sur notre contribution
Les fonds publics
d’investissement stratégique constituent une catégorie particulière de fonds
d’investissement. D'une part, ils sont contrôlés par des entités publiques
(Etat, collectivités territoriales ou autres organismes publics). D'autre part,
ils sont investis d’une mission spécifique d’investissement dans des
entreprises susceptibles de stimuler la compétitivité des économies nationales
dans lesquelles ils interviennent. Les fonds publics d’investissement
stratégique incarnent, ce faisant, une forme de renouvellement de l’action des
Etats en matière de politique industrielle. En France, le modèle des fonds de
ce type est le Fonds stratégique d’investissement (FSI) qui s’est fondu dans la
Banque publique d’investissement (BPI). Il était constitué sous la forme d’une
société anonyme détenue par la Caisse des dépôts et consignations (CDC) à
hauteur de 51% et par l’Etat à hauteur de 49%.
Le FSI est à la fois l’emblème et
l’instrument d’un renouvellement de la politique industrielle de la France.
Cette politique se différencie des modes d’intervention traditionnels de l’Etat
dans l’économie. Elle participe de l’inflexion marquant le passage d’un Etat
entrepreneur et ordonnateur à un
« Etat stratège ». Il s’ensuit que si cette politique passe
bien par des investissements publics dans les entreprises, elle n’en constitue
pas moins une rupture avec les pratiques anciennes de contrôle pur et simple
exercé par les pouvoirs publics sur les entreprises et de restructurations
imposées des groupes français (politique parfois désignée sous l’expression de
« mécano industriel »).
L’action de l’Etat évolue : à la figure de la dépendance et de la
tutelle se substitue une intervention banalisée dans sa forme. L’Etat
intervient comme un actionnaire qui s’implique dans la gouvernance des sociétés
dans lesquelles il détient des participations et qui veille à la préservation
de ses intérêts patrimoniaux. La création de l’Agence des participations de
l’Etat témoigne de façon exemplaire de cette évolution. Mais il convient de
souligner que la création du FSI s’inscrit dans une autre logique que celle
d’une gestion rationalisée des participations publiques dans le capital des
entreprises demeurant publiques ou issues du secteur public.
La spécificité de la politique
d’investissement du FSI ne place pas a priori les investissements ainsi
réalisés en dehors du champ du contrôle des institutions de l’Union européennes
sur les aides d’Etat. Les concours financiers émanant directement ou
indirectement de l’Etat, des collectivités publiques et des organismes qu’ils
instituent, sont en effet susceptibles d’être considérés comme des mesures
publiques pouvant créer des distorsions sur le marché européen. Le caractère
potentiellement perturbateur des aides publiques aux entreprises a été
identifié très tôt et le Traité de Rome de 1957 instituant la Communautaire
économique européenne comportait déjà des dispositions déclarant en principe
les aides d’Etat incompatibles avec le marché commun, et n’admettant des
dérogations au principe de prohibitions des aides d’Etat que sous le contrôle
de la Commission, et dans des conditions prévues par le Traité (articles 92 et
suivants du Traité instituant la CEE de 1957). Ces dispositions ont été
reprises dans le Traité CE aux articles 87 et suivants et enfin dans le TFUE
aux articles 107 et suivants.
Les fonds publics
d’investissement stratégique comme le FSI se trouvent ainsi placés sous la
contrainte tout à fait spécifique que fait peser le contrôle européen des aides
d’Etat. Le cadre juridique applicable aux fonds d’investissement s’étend donc à
cette branche typiquement européenne du droit de la concurrence, dès lors que
les fonds sont l’émanation des pouvoirs publics, disposent de ressources
d'origine publique et qu’ils apportent leurs concours à des entreprises
déterminées.
C’est précisément cette question
qui a été posée lorsque le FSI a investi, par l’intermédiaire du Fonds de
modernisation des équipementiers automobiles (FMEA), dans la société Trèves, un
sous-traitant du secteur automobile. La Commission européenne a soupçonné que
cet investissement puisse constituer une aide d’Etat, avant de conclure dans sa
décision du 20 avril 2011, qu’en l’espèce, les mesures en cause ne
constituaient pas des aides d’Etat au sens de l’article 107, paragraphe 1, du
Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
Il importe donc de situer
l’emprise exercée par le droit européen des aides d’Etat sur la politique des
fonds publics d’investissement stratégique, entre deux situations extrêmes, à
savoir une présomption irréfragable de licéité des investissements réalisés
dans des entreprises par des fonds d’investissement publics et une interdiction
inconditionnelle de toute participation des fonds publics au financement des
entreprises. Plus précisément, il y a lieu de déterminer dans quelle mesure le
droit européen des aides d’Etat est applicable aux fonds d’investissement publics à visée
stratégique et dans quelle mesure leur action est soumise au contrôle de la
Commission européenne au titre des aides d’Etat.
La confrontation de la politique
du FSI au contrôle européen des aides d’Etat s’inscrit dans la problématique
plus générale des contraintes que fait peser l’Union européenne sur les
politiques économiques nationales. La question est donc de savoir si la
politique industrielle n’est pas elle-même étroitement limitée par le cadre
européen. A cela s’ajoute le fait que l’on a pu considérer que c’était en
réalité toutes les interventions des Etats actionnaires qui se trouvaient
frappées de suspicion de la part des autorités européennes, comme l’a montré
notamment la jurisprudence de la Cour européenne globalement hostile aux golden shares et ce, alors même que le
Traité pose le principe de la neutralité du droit européen par rapport à la
propriété privée ou publique des entreprises. D’un autre côté, la crise
actuelle appelle une intervention des puissances publiques et l’action des
fonds publics d’investissement stratégique peut apparaître comme une réponse
prometteuse aux défis du moment. Les institutions européennes n’ont d’ailleurs
pas manqué de réviser leur doctrine à l’égard des différentes politiques
économiques et des interventions publiques décidées pour faire face à la crise.
C’est dans ce contexte que se pose la question de savoir si, et dans quelle
mesure, les investissements publics réalisés par l’intermédiaires des fonds
stratégiques peuvent échapper à la prohibition des aides d’Etats.
La question de la confrontation
de l’action des fonds publics d’investissement stratégique et du droit européen
des aides d’Etat se cristallise sur la notion d’ « investisseur
normal en économie de marché ». Elle définit, du point de vue du droit
européen, les limites dans lesquelles la nouvelle politique industrielle des
Etats peut se déployer (I) et appelle une évaluation économique de la
légitimité de cette contrainte sur la politique conduite à travers cette forme
particulière de fonds d’investissement (II).
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