Intervention dans le cadre des grandes conférences des cinquante ans de l'Université Nice Sophia Antipolis le 30 novembre 2015 à Sophia Tech. Cette conférence sur le thème de la révolution numérique a notamment donné lieu à une table ronde sur les implications territoriales. Le texte support de ma participation est disponible infra.
Les
enjeux économiques, concurrentiels, sociaux et territoriaux de la révolution
numérique
Il
s’agit dans le cadre de cette table-ronde de prendre en considération le
potentiel de création de valeur des réseaux basés sur les nouvelles
technologies numériques, d’identifier les nouveaux modèles d’affaires qu’il
peuvent faire émerger, leurs impacts économiques et sociaux, ainsi que leurs
répercussions concurrentielles et enfin d’en saisir notamment les enjeux
territoriaux.
A
cette fin, nous développerons notre propos en trois parties. La première
montrera de quelle façon ces nouveaux acteurs bouleversent la donne
concurrentielle et s’interrogera sur la possibilité que cette nouvelle économie
donne lieu à une destruction des anciennes structures économiques qui soit bien
créatrice et non pas seulement désagrégatrice. La deuxième partie s’interrogera
sur les caractéristiques de cette économie qui vient. S’agit-il d’une économie
coopérative ou d’un paroxysme d’une économie globale et financiarisée ?
Quels sont les impacts potentiellement déstabilisateurs pour les territoires
non seulement en termes de localisation des firmes mais aussi en termes de
ressources fiscales ? La troisième partie s’attachera aux conséquences sur
les salariés et les indépendants qui s’engagent dans cette nouvelle économie et
essaiera de dresser les frontières de ce mouvement d’ubérisation.
I - Le bouleversement de la donne
concurrentielle : une destruction créatrice ?
A
l’instar des deux premières révolutions industrielles, la révolution numérique
déstabilise en profondeur les structures du passé (1). Pour autant, il ne peut
être acquis que cette destruction soit inexorablement créatrice (2). Ce
faisant, un accompagnement public semble indispensable pour accompagner les
reconversions et tenter de réguler ces nouveaux marchés (3).
I-1
Une destruction inexorable de vieux
modèles :
La
régulation publique est souvent accusée d’être capturée par les groupes
d’intérêts. Dans le même temps, la révolution numérique a pour effet de
bouleverser l’équilibre économique de nombreux secteurs, privant ceux qui ont
investi pour entrer sur le marché de rentabiliser leurs investissements. Le
risque pour certains acteurs, à l’instar des chauffeurs de taxis, est même de
perdre l’intégralité de la valeur de leur investissement initial dans la mesure
où ils avaient dû acquérir une licence pour entrer sur le marché, licence
qu’ils ne pourront plus céder à titre onéreux si l’entrée sur le marché est
désormais libéralisée. Ce faisant, il convient de prévenir le risque de voir se
développer une action publique retardant des ajustements inexorables et même
souhaitables au point de vue collectif. La réglementation pourrait se voir
instrumentalisée, détournée, à des fins de protection d’intérêts corporatistes
au détriment des consommateurs et de l’ensemble des acteurs de l’économie. Il
convient donc de ne pas protéger des corporations au détriment de l’intérêt
général.
En
d’autres termes, la révolution numérique bouleverse certes des situations
acquises et met en cause la rentabilité économique d’investissements passés.
Elle contribue cependant à peser sur le coût des services et donc joue
favorablement sur le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité de notre
économie.
Nous
pourrions dire que l’effet de cette révolution numérique conduit à rebattre les
cartes d’une façon très prévisible au vu de la théorie économique en réduisant
la place des entreprises et en accroissant celle du recours au marché. Cela
peut se penser aisément au travers de la théorie des coûts de transaction, laquelle
remonte à 1937 (Coase). Pour celle-ci la séparation entre marché et
hiérarchie dépend de ces coûts de recours au marché (coûts de recherche et
coûts de contractualisation ex ante et coûts de surveillance ex post). La
révolution numérique a pour effet de laminer ces coûts et donc de faire évoluer
les frontières entre relation d’emploi et recours au marché de services
externes. Cette baisse des coûts de transaction est en elle-même une bonne
nouvelle. : Ces coûts reviennent à des frottements dans le cadre du recours
au marché. Ils génèrent des pertes sèches pour les deux contractants. Ce
faisant leur baisse accroît leur bien-être mais fait dans le même temps des
perdants, pour les entreprises qui les prestaient.
Il
n’en demeure pas moins que la révolution toujours en cours… et risque fort,
comme d’autres avant elle, de dévorer ses enfants ! En effet, dans un
monde technologique extrêmement turbulent, les positions dominantes aujourd’hui
ne seront assurées qu’un temps extrêmement limité. Par exemple, le développement
d’Uber lui-même sera très bientôt remis en cause par le développement des
véhicules autonomes. De la même façon de nouveaux modes de partages, de
propriété collective de certains actifs pourraient bientôt mettre en cause le
modèle de certains sites de location entre particuliers, etc…
Il
convient en tout état de cause de souligner un spécifié de cette nouvelle
révolution numérique. Son fonctionnement est quelque peu paradoxal. Une grande
partie de la richesse créée par l’économie numérique tient à la production ou à
la collecte de données qui ne sont pas le fait des salariés mais des
utilisateurs / consommateurs eux-mêmes soit à titre gratuit soit en guise de
rétribution implicite d’un service rendu gratuitement.
I-2
Une création non assurée en elle-même :
Une
nouvelle économie se dessine précipitant la disparition d’anciens modèles
d’affaires. Cette disparition est bien plus rapide que dans le cadre des
précédentes révolutions industrielles. Comparaison n’est pas raison mais cette
évolution tient en grande partie d’une théorie du choc. Le nouveau modèle peut
connaitre des difficultés de mise en place (la concurrence est aussi une
logique d’essais et d’erreurs) et le chaos et la désorganisation peuvent
guetter. En effet, les gains peuvent être extraordinairement concentrés sur
certains voire être dissipés à l’extérieur. La construction d’une nouvelle
régulation, d’une nouvelle cohérence économique peut être très difficile et
bien plus longue que la première phase de destruction.
I
-3 La nécessité d’un accompagnement public pour gérer les transitions et
engager les réformes structurelles nécessaires
Face
à ces enjeux les pouvoirs publics ont un triple rôle à jouer. Ils doivent à la
fois faciliter la transition, accompagner et préparer les ajustements de la
structure productive et des acteurs de l’économie à cette nouvelle donne et
enfin demeurer des régulateurs attentifs du marché.
Les
pouvoirs publics doivent d’abord assumer un rôle de facilitateur de la
transition dans le cadre du « choc concurrentiel ». L’Etat n’a pas
seulement un rôle d’Etat brancardier mais de facilitateur des reconversions,
voire de compensation des perdants. Il peut en être ainsi des investissements
réalisés par les notaires ou les taxis au titre du droit de présentation. Il convient
de façon plus générale de prendre en compte l’impact pour des entreprises et
leurs salariés de la fin de la protection liée à des mécanismes de type numerus
clausus. Il convient en effet de souligner qu’un changement fait toujours des
perdants. Adopter un critère de Pareto serait catastrophique en termes
collectifs. Il faut mettre en œuvre un critère de Kaldor-Hicks à ceci près que
la compensation ne doit seulement rester hypothétique sinon les gains
d’efficacité pourraient être trop inégalement concentrés dans la société.
L’Etat
doit aussi prendre en charge un rôle de préparation et d’accompagnement de
l’adaptation de l’économie et des salariés à cette nouvelle économie. Il en est
ainsi des réformes de structures (voir la Loi Macron I ou encore les
préconisations OCDE pour la France à l’automne 2014,…) mais aussi de la
nécessité de repenser la politique d’éducation et d’enseignement supérieur
(formation initiale, formation tout au long de la vie).
L’Etat
doit enfin assumer un rôle de régulation. Il n’est en effet pas acquis que les
marchés soient toujours, parfaitement et instantanément autorégulateurs. Il se
peut que cette révolution qui vient... et qui ne fait que commencer creuse des
inégalités, créé des situations d’abus de pouvoir économique qu’il faudra
réguler ou dont il s’agira de limiter les effets.
Une
première voie, évidente, est la voie concurrentielle. La position
ultra-dominante est naturelle dans ces industries où jouent à plein les effets
de réseaux et les rendements croissants. Le modèle de la concurrence pure
et parfaite est peut-être une spécificité des deux premières révolutions
industrielles (Varian et al., 2004 cité par Cayla, 2014). Il ne s’agit pas de
contrecarrer des évolutions naturelles des marchés au risque de priver les
consommateurs des gains qui pourraient en résulter, il s’agit de maintenir
la possibilité d’entrée, d’émergence de nouveaux acteurs (i.e. la
contestabilité des marchés) et d’éviter que les firmes puissent verrouiller les
consommateurs (effets de verrouillages au sein de silos) ou abuser de leur
position de marché en termes d’éviction de services concurrents ou
d’exploitation de leur puissance de marché, par exemple en plaçant certains de
leurs partenaires en situation de dépendance économique. De la même façon, il
convient d’éviter que les plateformes ne se transforment en régulateurs privés
des prix, en cartels électroniques.
Une
voie dérivée est celle du droit du travail. En effet, pour les personnes
travaillant dans le cadre de cette nouvelle économie, il n’y a plus de liens de
subordination juridique comme dans la relation d’emploi classique. Pour autant,
il y a une situation indéniable de dépendance économique, surtout dès lors
qu’il ne s’agit plus de complément de salaire mais de revenu principal. Une analyse
juridique substantielle, dépassant les qualifications habituelles liées au
formalisme juridique, analyse développée au sein de notre propre université,
permettrait de conclure au fait que le déséquilibre n’a pas disparu…. Il s’est
même renforcé, les garanties dont disposaient les salariés étant dans ce
nouveau cadre dramatiquement limitées. Il peut s’ensuivre une requalification
des contrats signés avec des firmes de type Uber en contrats de travail, sur
l’exemple de ce qui a été fait au printemps derniers en Californie. Les
travailleurs pourraient être réintégrés en fonction de critères simples. Nous
pourrions citer en exemple les propositions de critères formulées par Robert
Reich : plus de 50% des revenus d’activité ou plus de 50% des heures de travail
au profit d’un acteur vaudrait requalification du contrat en contrat de
travail.
II - Quelques interrogations sur les
caractéristiques de cette économie qui
vient
Il
convient ensuite de s’interroger sur les caractéristiques économiques de cette révolution
numérique. Sommes-nous réellement dans le cadre d’une économie du partage ou
dans une logique globalisée et financiarisée que d’aucuns pourraient baptiser
de turbo capitalisme (1 et 2). De la même façon quelles peuvent être les
conséquences pour les territoires en termes de localisation des activités (3)
et des collectivités publiques en termes de ressources fiscales (4) ?
II-1
Economie coopérative ou turbo-capitalisme ?
Il
s’agit tout d’abord de savoir de quelle économie nous parlons. Il peut s’agir
de l’économie du partage, de l’économie du partage des restes ou plus
simplement d’une nouvelle organisation des entreprises? Par certains égards
l’entreprise sans usine d’il y a dix ans, devient aujourd’hui l’entreprise sans
salariés : le coût de la flexibilité, des ajustements est rejeté sur les
salariés qui sont devenus des contractants indépendants. Le modèle porté par la
nouvelle révolution numérique peut être celui de la gig economy. Chaque projet d’une entreprise est mis en œuvre par
une coalition ponctuelle de prestataires indépendants et non principalement par
des salariés.
Au-delà
de l’intérêt pour les entreprises, en termes d’efficacité, de réunion de
compétences et de flexibilités, est-ce que les acteurs profitent-ils réellement
de leurs implications ? Pour certaines compétences rares, le modèle est
celui du monopole bilatéral. Cela n’est pas acquis loin s’en faut pour des
compétences génériques. Soit les prix sont déterminés unilatéralement par la
plate-forme soit ils résultent d’une enchère en temps réel individuelle et non
d’une négociation collective comme cela était le cas dans le vieux monde du
salariat. Il peut s’ensuivre une atomisation du monde salarial et une augmentation
du déséquilibre dans les négociations entre l’employeur et le prestataire qui
n’est plus employé. Cela peut revenir aux analyses de Robert Reich pour lequel
il peut s’agir d’une sharing the crumbs
economy (sharing the scraps) et non pas d’une sharing economy. L’exemple du Mechanical Turk d’Amazon, qui
consiste dans un paiement de l’ingénieur fee-lance à la tâche pour résoudre des
bogues, pour tester des algorithmes, montre que le retour du paiement à la
pièce peut avoir des effets ambivalents…dès lors qu’il s’agit d’une activité
principale et non d’un complément de revenus.
II.2
- Les gains ne sont-ils pas accaparés par des acteurs répondant à une logique d'économie financiarisée ?
Il
convient de souligner l’existence d’une logique financière propre aux nouvelles
plateformes qui ne sont pas des acteurs de l’économie sociale et solidaire mais
des acteurs de marché comme les autres. L’exemple de Blablacar est topique. 8
sociétés ont été rachetées en 3 ans dont son principal concurrent allemand et
plusieurs levées de fonds ont été opérées, levées qui font que de grands fonds
d’investissement américains siègent désormais à son capital. De la même façon,
on peut relever l’entrée dans le domaine de grands acteurs de l’économie
traditionnelle. Par exemple le numéro de novembre de Terra Eco souligne qu’Engie
crée une plateforme d’investissement coopératif dans les énergies vertes (green
channel), que la SNCF rachète une société spécialisée dans le covoiturage et
lance IDvroom, que des magasins de bricolage entrent sur le marché des
locations d’objets entre particuliers et que des réparateurs automobiles
entrent sur celui du partage de vélos électriques ou encore sur du covoiturage.
II-3
Dé-territorialisation des firmes ? Quelles retombées locales ?
Au
niveau territorial des paradoxes sont à relever. S’agit-il vraiment d’une
apparition d’acteurs de proximité ou combinaison cycle-court et globalisation
exacerbée ? En effet, l’économie numérique a pour effet d’éloigner les
lieux de création de la valeur ajoutée des lieux de consommation.
Il
convient de s’interroger quant aux conséquences sur les acteurs économiques
territorialisés. Quelles sont les capacités de résistances des acteurs locaux
qui investissent dans des infrastructures matérielles et dans leurs
salariés ? Peuvent-ils faire face aux distorsions de concurrence par
rapport à ces nouveaux acteurs ? Ne risquent-il pas de sortir du
marché ?
Ne
font-ils pas l’objet de traitement « discriminatoire » au point de vue fiscal
mais aussi au point de vue de la politique de concurrence. Les opérations de concentration
entre distributeurs d’électroménagers font face à un contrôle concurrentiel et
de la même façon la concurrence entre distributeurs dans le commerce de détail
suscite souvent des préoccupations de la part du législateur, comme le montre
la loi Macron I avec le projet d’injonctions structurelles, rejeté par le
Conseil Constitutionnel. Pour autant, il n’est plus acquis que la concurrence se
joue-encore entre Carrefour et Auchan ou plutôt déjà avec Amazon ?).
En
matière d’impact territorial, il convient néanmoins de raisonner en retombées
nettes pour l’économie locale, en veillant à ne pas identifier l’impact sur les
concurrents avec l’impact sur l’économie ! Une discussion autour des
retombées d’AirBnB par exemple pourrait être envisagée.
II-4
Quelles conséquences fiscales ?
La
révolution numérique induit une double révolution en termes fiscaux. Elle se
traduit par une: extrême mobilité des bases fiscales et par des stratégies d’optimisation
fiscale en termes de localisation des profits et, dans le même temps, suscite
une mise en question du financement de la protection sociale. En effet, les
consommateurs et les utilisateurs créateurs de richesses sont partout dans le
monde, notamment dans les grands états mais la localisation des sociétés est
liée à une stratégie d’optimisation fiscale, en d’autres termes de law
shopping. De plus, le modèle économique ne repose pas sur la distribution de dividendes
taxables mais sur le réinvestissement des gains. Ce faisant le potentiel de
taxation en encore moindre.
Quelles
peuvent alors être les solutions ? Une première est une concurrence
fiscale, un alignement vers le bas. Une deuxième malheureusement bien moins
probable est une harmonisation internationale. Il est cependant possible de
rechercher une troisième voie consistant dans la mise en place de nouvelles
formes de fiscalité, portant notamment sur les données comme le montre le
rapport de janvier 2013 sur la fiscalité du numérique. Nous aborderons ce point
dans notre troisième partie.
III - Quid des conséquences
sociales ?
Il
s’agit dans cette dernière partie de s’interroger sur les conséquences sociales
de cette révolution numérique en envisageant successivement le cas des
consommateurs (1), des salariés ou prestataires (2) et enfin celui de
l’économie dans son ensemble (3).
III-1
Un enrichissement a priori évident pour les consommateurs ?
Le
consommateur bénéficie a priori de cette nouvelle économie qui concilie souvent
baisse des prix et absence de dégradation de la qualité du service. Nous
retrouvons ici un des avantages théoriques de la baisse des barrières à
l’entrée sur des marchés autrefois protégés par des règlementations
malthusiennes profitant tout d’abord et peut-être principalement aux acteurs
régulés eux-mêmes. Il n’en demeure pas moins que les consommateurs sont
également sont dans cette nouvelle économie des producteurs de contenus et
de services. Leur paiement se fait aussi par la production des données au
profit des plateformes
III-2
Un enrichissement pour certains « salariés »
Il
peut exister des gains indéniables pour certains salariés. Ceux-ci passent d’un
modèle de salariat à un modèle de projet – nous devenons tous entrepreneurs. Il
cependant possible de formuler une interrogation sur la généralisation du
modèle de l’expert / consultant enchaînant les missions. Cette interrogation
porte plus globalement sur le retour du modèle du travail à la demande. Le
modèle de la gig economy correspond
bien aux intérêts de certains salariés aux compétences très pointues qui
pourront passer d’un projet à un autre et qui donc seront particulièrement
attractifs pour les entreprises. Les attirer sur un projet donné sera un
élément critique dans le succès d’une entreprise, donc un enjeu déterminant
pour sa fonction RH (dont le type de mission va évoluer) comme le montre par
exemple le récent article publié dans la Harvard Business Review :
« Your Company Needs Independent Workers » (par Steve King et Gene
Zaino le 23 novembre 2015). Cependant, pour certains la cité par projets ne pourra se substituer à la cité industrielle (pour reprendre la terminologie de Boltanski et
Chiapello, 1999) i.e. à la logique fordiste, l’implication dans ces nouvelles
activités tient plutôt à un complément de salaire indispensable pour les
working-poors.
III-3
D’une économie du partage ou une économie du partage des restes ?
Il
s’agit donc de s’interroger sur les impacts sociaux de cette révolution
numérique sur la protection sociale qui est, elle, demeure fondé sur le
salariat et sur les politiques publiques qui sont également financées par
les impôts, à la fois sur les revenus, sur le travail et sur les sociétés.
Une
première question est celle de la sécurisation des parcours et fait écho au
compte personnel d’activité. L’enjeu de l’uberisation est celui de la
transformation du modèle d’activité voire celui de la disparition du salariat. Un
double phénomène est à relever. Avant même l’uberisation, on pouvait relever
une quasi-disparition du modèle du CDI, la montée des contrats courts, des
contrats précaires de l’intérim et plus récemment des logiques
d’auto-entrepreneuriat. Quel est l’intérêt d’une telle évolution pour les
firmes ? C’est un surcroît d’agilité dans un monde économique globalisé
qui nécessite une flexibilité de tous les instants. L’ubérisation permet de
matérialiser au moins pour partie l’utopie de l’entreprise sans usine et sans
salariés.
Les
conséquences pour les salariés doivent cependant être envisagées ? Le
modèle du working poor concerne déjà 25% des salariés US selon Robert Reich
avec une augmentation de 15% en 10 ans. La précarité concerne 40% de la
population active américaine. Ces salariés se trouvent dans la nécessité de
trouver des compléments de revenus….voire souvent le revenu principal lui-même.
Ce
modèle a des impacts pour les salariés en particulier et pour le système social
en général qui doivent être questionnés. Son instabilité met en cause la construction
des projets de vie pour les salariés, leur accès au crédit, leurs couverture
santé et couverture chômage ainsi que leur accès à la formation continue. Il
convient également de considérer les impacts sociétaux. La déstructuration
des horaires, la non-prévisibilité des plannings ont des effets très négatifs
sur la vie familiale et notamment sur le parcours scolaire et le développement
des enfants (l’uberisation touche surtout des familles précarisées). Il
convient enfin de souligner les impacts économiques globaux. En effet, la
protection sociale, l’assurance chômage est financée sur le modèle du salariat
(logique fordiste).
Il
est donc nécessaire de passer sur de nouveaux supports de financement. L’ancien
système ne peut plus être. La révolution numérique bouleverse définitivement
les modèles passés. Cependant si la flexibilité est indispensable, les
garanties pour la force de travail le sont également. Les besoins des agents
économiques peuvent se résumer en deux mots : sécurité et décence pour
reprendre les termes de Robert Reich. La sécurisation des parcours correspond
au compte d’activité ou plus globalement à la flexisécurité. Il faut peut-être
songer de passer de l’assurance chômage à un mécanisme d’assurance-revenus. Les
travaux de l’observatoire de l’uberisation montrent la nécessité de repenser à
cette aune la fiscalité, la protection sociale ou encore la législation du
travail
Une
seconde adaptation essentielle est en tout état de cause celle de la fiscalité.
Il s’agit de s’interroger sur le risque de voir l’impôt se concentrer sur les
bases fiscales les moins mobiles (de l’IS à l’IRPP) voire vers la seule
consommation. ? Il s’agit également de s’interroger sur effets sur la
(re)distribution du bien-être dans l’économie. Il convient de se reporter sur
ce sujet au rapport sur la fiscalité du numérique de Pierre Collin et de
Nicolas Colin (janvier 2013). Celui montre que la valeur créée par l’économie
numérique échappe à la taxation et donc à la redistribution et s’interroge sur
les nouvelles bases de taxation. La proposition est de taxer les données avec
le principe de prédateur-payeur sur
le modèle du pollueur-payeur. Elle mérite indubitablement d’être débattue quant
ses effets et la possibilité qu’elle puisse être mise en œuvre.
Un
dernier point, de nature conclusive, tient à l’extension du domaine de l’uberisation.
Elle ne concerne pas seulement les métiers modérément qualifiés, déjà des
services à haute valeur ajoutée jusqu’ici protégés de la concurrence
internationale ou protégés par la réglementation.
Il
en est ainsi des métiers de la banque et du droit. Le secteur bancaire est déjà
mis à mal par la numérisation. La reconversion à venir a pu déjà être comparée
– avec exagération – à celle de la sidérurgie dans les années 80. Ce ne sont
pas que les métiers de guichet qui sont concernés. Des sites de financements
coopératifs concurrencent des banques.
Les
professions du droit seront touchées au même titre que celle du chiffre. Il est
possible de citer deux exemples. Le premier est celui des contrats intelligents.
Le concept de blockchain est particulièrement intéressant. Il s’agit de
contrats autonomes qui s’exécutent automatiquement (contingences très complexes
prises en compte en temps réel, révision des obligations automatique de façon
très transparente). Cela améliore de la sécurité juridique des acteurs mais
marque dans le même temps la fin des modèles d’affaires standards de certains
cabinets d’avocats. Le gain est peut-être certain pour l’économie si l’on
raisonne en termes de réduction des coûts de transaction mais quid sur l’emploi
dans le secteur et quid de notre offre de formation universitaire ? Ce
phénomène s’est étendu dès les années 90 sur les résolutions des litiges en
ligne. Les sites virtual magistrate et online ombuds office (arbitrage et
médiation – déjà quelques affaires dont eBay) avaient ouvert la voie. Depuis on
assiste à une explosion des modèles de médiation en ligne. Elles sont à l’heure
actuelle assurées par des systèmes experts (modèles Ecodir : electronic
consumer consumer dispute resolution et Square trade (eBay)). Des services de
type Cybersettle (fondée en 1996) sont même utilisés par des collectivités
publiques.
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