PPP et opportunismes comptables et budgétaires
Analyser l’impact des PPP sur les
comptes de l’Etat suppose de distinguer trois types de comptabilités
différentes. Une première est – sur le modèle des entreprises privées - une comptabilité patrimoniale (ou comptabilité
générale). Une deuxième tient à la comptabilité budgétaire stricto sensu i.e.
aux flux de ressources budgétaires. Une troisième, enfin, correspond aux
comptes nationaux au sens de Maastricht. Ils servent à évaluer le déficit et la
dette publique conformément aux règles définies par le Pacte de Stabilité et de
Croissance (Kirat et Marty, 2009).
Dans le cadre d’une comptabilité
de flux classique, les engagements liés aux contrats de PPP ne peuvent être
correctement traduit dans les comptes publics. En effet, nulle reconnaissance
comptable n’apparait au moment de la signature du contrat. Les flux de paiement
annuels liés aux loyers sont enregistrés dans les comptes, exercice après
exercice, mais l’impact du contrat sur la dette n’apparaît pas. Ce faisant, le
développement des PPP a été accompagné par un passage d’une comptabilité de
flux à une comptabilité d’engagements (Marty et al., 2006). Celle-ci permet du
moins en théorie de traduire dans les comptes l’impact du contrat de long terme
dès sa signature. Ce fut le cas au Royaume-Uni avec le Resource Accounting and Budgeting Act de 1997 et en France avec la Loi Organique relative aux lois de finances
de 2001. Dans les deux cas, la comptabilité générale mise en place par l’Etat
suppose de reconnaître l’ensemble des engagements dans les comptes publics dès
la signature de l’acte juridique qui en est à l’origine. Ainsi, a priori, un contrat de PPP est-il
automatiquement reconnu dans les comptes. En fait l’adoption de règles
comptables de nature patrimoniale ne signifia pas la reconnaissance comptable
des contrats de PPP et ce particulièrement dans le cas britannique (Marty et
Voisin, 2009). En effet, l’adoption de règles dérivées des UK GAAP, notamment
les FRS5, conduisirent à traiter en hors bilan une part très significative des
contrats de PFI (Hodges and Mellet, 2012). Cependant, les normes de
comptabilité générale utilisées par les Etats se sont inscrites depuis
plusieurs années dans un processus de convergence avec les IFRS, c’est-à-dire
avec les normes comptables internationales privées. Ce phénomène, observable
pour le Recueil des Normes Comptables
de l’Etat dans le cas français,
s’applique particulièrement aux contrats de PPP comme en témoigne l’édiction
d’une norme par l’IPSASB (International
Public Sector Accounting Standard Board) relative aux contrats de concession
(au sens large) répliquant l’interprétation IFRIC 12 utilisée pour les
entreprises privées (Dupas et al., 2012). Il s’agit d’une norme fonctionnant
« en miroir » avec les exigences pesant sur les entreprises privées
et permettant donc potentiellement de corriger l’un des biais constaté pour les
PFI britanniques, lesquelles étaient parfois reconnues ni dans la comptabilité
générale de la personne publique ni dans celle de la personne privée. Le processus
de convergence avec les normes internationales privées fut plus rapide (malgré
des difficultés de mise en place) et plus marqué au Royaume-Uni où la
comptabilité générale de l’Etat s’est calée sur les normes IFRS elles-mêmes. Il
s’ensuit a priori une correction des
biais constatés dans la reconnaissance comptable des contrats de PFI par
rapport aux pratiques résultant de l’application des FRS5. Cependant,
l’ensemble des biais qui pouvaient conduire à choisir une PFI non pas pour son
efficacité économique mais simplement par opportunisme comptable, i.e. pour
mettre la dette en hors bilan (Maskin and Tirole 2008), ne sont pas totalement
corrigés pour autant. En effet, les éventuelles garanties publiques – plus
fréquentes dans les contrats de PPP avec la crise – ne font pas obligatoirement
l’objet d’une reconnaissance comptable dans la mesure où il s’agit
d’engagements conditionnels. Dans la mesure où il n’est pas possible d’évaluer
précisément ex ante l’espérance
mathématique de coût associée. De tels engagements ne sont traités qu’en hors
bilan.
Ce faisant, les biais en faveur
des PPP peuvent perdurer quand bien même une comptabilité d’engagements basée
sur les IFRS est mise en œuvre. Il en va de même si nous considérons la
comptabilité budgétaire elle-même et les comptes nationaux au sens de
Maastricht.
Dans le cas français, circulaire
du 14 septembre 2005 a obligé les ministères à couvrir par des autorisations
d’engagements le coût d’investissement (coût de construction et coûts annexes,
dont frais financiers) et le dédit éventuel liés aux contrats de partenariats.
Il s’agit d’éviter que des personnes publiques utilisent les PPP pour
contourner les contraintes pesant sur leurs budgets d’investissements. Le
risque de développement de stratégies opportunistes dans le domaine est
particulièrement mis en exergue au Royaume-Uni où la mise en œuvre des DELs
(Departmental Expenditure Limits) s’est traduite par un biais en faveur du
financement des investissements publics en PFI à la fois pour lancer les
programmes d’investissements en l’absence des ressources budgétaires idoines
(House of Commons Treasury Committee, 2012)… et éventuellement créer des
irréversibilités permettant de faire échapper à de futures régulations
budgétaires (i.e. à des coupes dans les budgets d’investissement et
d’exploitation). Relevons qu’un phénomène comparable avait été mis en exergue
dans le cas français par la Cour des Comptes dans le cadre de son rapport
public de février 2008 (Cour des Comptes, 2008) pour le contrat portant sur le
nouveau bâtiment des archives du ministère des affaires étrangères et
européennes.
Le même phénomène demeure pour
les comptes nationaux au sens d’Eurostat. Les règles de reconnaissance
comptable dérivant de la décision d’Eurostat de 2004 avaient eu pour effet de
faire échapper à la consolidation dans la dette (et le déficit) de nombreux
contrats de PPP. Même si le traitement dans les comptes au sens de l’ESA 95 (European System of Accounts) est en
partie dérivé de la comptabilité générale de l’Etat, l’adoption des IFRS dans
le cas britannique et la consolidation d’une part significativement supérieure
des contrats de PFI ne permettra pour autant de corriger l’ensemble des biais
dans la mesure où les principes comptables sous-jacents demeurent divergents.
En effet, Eurostat exige qu’un contrat de PPP soit reconnu dans les comptes
publics dès lors que la personne publique assume le risque de construction et
soit le risque de demande soit le risque de disponibilité (ou bien entendu les
deux). Il s’agit d’un critère de type risk
and reward. A l’inverse, les IFRS conduisent à adopter un critère de
contrôle (sur la nature de la prestation, de sa tarification) pouvant conduire
à des résultats divergents en termes de reconnaissance comptable. A ce titre,
même si des contrats de PPP sont reconnus dans la comptabilité générale de
l’Etat, ils peuvent demeurer hors bilan au sens d’Eurostat. Les biais dans les
choix d’une solution d’acquisition patrimoniale traditionnelle ou d’une PFI
demeure comme le montre le rapport de Treasury Committee (2012) : « Departmental
accounts are based on the International Financial Reporting Standards (IFRS), which
are in the main aligned with departmental budgets. In certain cases, ESA 95 and IFRS for the
public sector are not aligned and thi sis the case for PFI”.
Cour des Comptes, (2008), Rapport public annuel 2008, février.
Dupas N., Gaubert A., Marty F. et
Voisin A., (2012) « Les nouvelles règles de comptabilisation des partenariats
public-privé », Revue Lamy des
Collectivités Territoriales, n°75, janvier, pp.69-74.
Hodges R. and Mellet H., (2012), “The UK
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House of Commons Treasury Committee, (2012), Private Finance Initiative: Government, OBR
and NAO Responses to the 17th Report from the Committee, HC 1725, January.
Kirat T. et Marty F., (2009), « Système
d’information comptable de l’Etat et contrôle de l’exécution des contrats
publics », Document de travail OFCE,
n° 2009-10, avril 2009, 33p.
Marty F., Trosa S. and Voisin A., (2006) « The
move to Accrual Based Accounting: The challenges facing central governments », International Review of Administrative
Sciences, volume 72, number 2, June, pp. 203-222.
Marty F. et Voisin A., (2009), «
La comptabilisation des contrats de Private Finance Initiative au
Royaume-Uni », Cahier de recherche GIREF, n° 02-2009, ESG – UQAM, mars, 15p.
Maskin E. and Tirole J., (2008),
“Public-Private Partnerships and Government Spending Limits”, International Journal of Industrial
Organization, 26 (2), March, pp. 412-420.
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