mercredi 11 mars 2015

La concurrence sert-elle toujours les intérêts des consommateurs? - Matinale Eco France Soir / Métropole Nice Côté d'Azur au MIPIM, Cannes 12 mars 2015

Participation à la table ronde organisée dans le cadre des matinales économiques de la Maison de la Métropole Nice Côte d'Azur le 12 mars 2015 dans le cadre du MIPIM 2015 sur le thème : La concurrence sert-elle toujours les intérêts des  consommateurs?"

http://www.francesoir.fr/les-matinales-eco



Infra, le lien vers l'article de France Soir
http://www.francesoir.fr/societe-economie/christian-estrosi-reaffirme-son-opposition-la-privatisation-de-laeroport-de-nice

Voir également ci-dessous la trame de mon intervention



La concurrence sert-elle toujours les intérêts des consommateurs ?
Matinale Economique de la Maison de la Métropole Nice Côte d’Azur
MIPIM 2015, 12 mars


Collectivités territoriales et renforcement de la gouvernance concurrentielle des activités économiques
Quels effets potentiels ? Une revue de littérature économique

Frédéric Marty
CNRS – Groupe de Recherche en Droit, Economie et Gestion
UMR CNRS 7321 – Université Nice Sophia Antipolis

Dans le contexte de la discussion de la Loi Macron, cette intervention vise à présenter quels peuvent être les gains et les risques attachés au renforcement de la concurrence et à l’extension des domaines régis par les règles de concurrence pour les collectivités territoriales.
Elle se structure en quatre parties.
Une première traite directement des contrats et des activités économiques des collectivités elles-mêmes. Elle montre les gains potentiels qu’il est possible d’attendre de l’intensification de la concurrence pour le marché dans le cas des marchés publics et des contrats de délégation de service public, d’une mise en concurrence de prestations jusqu’ici réalisées en régie et enfin de l’introduction de montages partenariaux public-privé.
Une deuxième partie s’attache des gains que peuvent directement ou indirectement tirer les collectivités d’un renforcement du degré de concurrence dans des domaines qui correspondent à leurs champs d’interventions économiques. Le secteur des transports est le premier considéré qu’il s’agisse du transport aérien, ferroviaire ou du transport routier de voyageurs par autocar. L’immobilier commercial est le second domaine pour lequel les gains potentiels d’une concurrence renforcée sont considérés.
Une troisième partie met cependant en exergue les risques et les coûts indirects que peut représenter un renforcement de la gouvernance concurrentielle pour les collectivités territoriales et pour leurs administrés. Quatre domaines sont successivement considérés. Le premier tient aux conséquences potentielles d’une ouverture à la concurrence excessive de certains secteurs se traduisant par un excès d’offre et le risque de développement d’une concurrence destructrice de type coupe-gorge. Le deuxième illustre les risques d’écrémage du marché et de report de charges additionnelles sur les collectivités dans certains domaines tels les transports. Le troisième illustre les contraintes qui peuvent découler des règles de concurrence pour les collectivités dans le cadre de leurs interventions économiques (encadrement des aides publiques, risques de poursuites sur la base de l’article 102 du Traité,…). Le quatrième enfin se base sur le cas du transport aérien pour montrer de quelle façon une libéralisation et une intensification de la concurrence peuvent sous certaines conditions générer des processus de type concurrence fiscale dans lesquels ce sont les collectivités elles-mêmes qui sont mises en concurrence par les acteurs économiques.

1.      Les avantages théoriques de la concurrence pour les collectivités publiques : Marchés publics, concessions et PPP
La politique de concurrence joue a priori favorablement pour les décideurs économiques locaux en permettant d’accéder à des offres plus diversifiées, de meilleure qualité et dont les prix sont les plus proches possibles des coûts.
                                                              i.      Cas des marchés publics

-          Prévenir le monopole bilatéral
-          Limiter les risques de collusion

                                                            ii.      Cas des concessions

-          Offres et services innovants si pression concurrentielle
-          Minimisation de la demande de subvention d’exploitation
-     Discipline le concessionnaire dans les demandes de renégociations, approche coopérative si anticipation remise en concurrence[1]

                                                          iii.      Faut-il mettre en concurrence des services exploités en régie ?

-          Gain incitatif à l’efficacité productive si gestion de certains services sous la forme de contrats à prix forfaitaire et non à remboursement de coûts[2]
-          Une firme privée régulée sous la forme d’une régulation à remboursement de coûts ne fera pas mieux qu’un service en régie
-          Cependant, la régulation par prix plafond, si elle est la plus efficace pose certains problèmes
o   Rentes excessives et risques de non acceptation sociale
o   Risques de capture
-          Au final, le régime de propriété importe peu, ce qui compte c’est l’aiguillon concurrentiel et la mise en place de règles de gouvernement d’entreprise[3]

                                                          iv.      L’intérêt de la concurrence pour une offre performante de services publics – applications aux PPP

-          Logique du nouveau management public : de l’Etat producteur à l’Etat régulateur
-          Peu importe qui réalise le service : logique axée sur les outcomes
-          Deux niveaux d’interrogations pour le décideur public
o   Niveau stratégique : quelles sont les finalités du service rendu et quelles sont les attentes des usagers ?
o   Niveau opérationnel : quel doit être le mode de réalisation ? Interne ou confié à un tiers ?
§  Les paramètres ne se limitent pas au prix
·         Accessibilité au service
·         Expertise additionnelle, capacité à intégrer des innovations (techniques mais aussi association des parties prenantes, open data,…)
·         Garantie en termes de redevabilité
·         Garanties en termes de continuité du service
-          Intérêt de déléguer certains services au privé (d’un Etat provider à un Etat brocker) mais en jouant sur les incitations concurrentielles
-          Mise en concurrence dans le cadre de contrats de PPP
o   Rôle de la concurrence pour le marché[4]
o   Renforcer la concurrence dans le marché
§  Procédures de market testing (PFI)
§  Contrats de moindre périmètres ou de moindre durée (PF2)
o   Les firmes ont un intérêt réel à se faire concurrence sur des dimensions hors prix (car marges faibles) – gain pour les usagers

2.      Les gains liés à la concurrence : quelques études de cas
i – Transport aérien
-          La libéralisation du secteur permet le développement des LCC (part de marché > celle des opérateurs historiques au sein de l’UE)
o   Gain pour les consommateurs (prix)
o   Gain pour les gestionnaires d’aéroports (connectivité, attractivité du territoire)
o   Possibilités plus grande de soutien au lancement et à l’exploitation de nouvelles dessertes (lignes directrices UE février 2014)
o   Nouveau business model pour les aéroports (logique biface)
ii – Transport ferroviaire
-          Réduction du coût du soutien public aux liaisons régionales si ouverture à la concurrence et amélioration du service ?
iii- Transport de passagers par bus
-          Ouverture du marché interurbain avec la Loi Macron
o   Précédents britanniques et allemands (1985 et 2013) : baisse des prix, nouvelles dessertes
o   Evaluation de la Commission d’étude des effets de loi pour la croissance et l’activité de France Stratégie, présidée par Anne Perrot[5]
-          Renforcement de la concurrence pour les lignes urbaines
o   Cas londonien : des concessions avec des périmètres plus faibles et des durées moindres induisant de fortes baisses de coûts[6] - argument en faveur du renforcement de la concurrence par la réduction des barrières à l’entrée et par l’allotissement.
iv – immobilier commercial
-          Barrières à l’entrée via les Commissions départementales d’urbanisme commercial (puis les commissions départementales d’équipement) : le malthusianisme conduit à des hausses de prix[7], à des niveaux de marge élevés et à un moindre niveau d’emploi (confirmation via les cas italiens ou britanniques).
-          Renforcer les attributions de l’AdlC – rôle d’Advocacy lui permettant de se prononcer sur les documents d’urbanisme commercial et possibilité de prononcer des injonctions structurelles là où le marché est concentré et/ou les prix élevés[8].
o   Limiter les barrières à l’entrée
o   Jouer sur les structures de marché pour renforcer l’intensité concurrentielle

3.      Les limites de la concurrence ?

-          Quel effets non désirés possibles ?
o   effet adverses sur la qualité du service,
o   effets négatifs sur les incitations à l’investissement et à l’innovation
o   hausse potentielle des prix à terme
o   réduction des marges de manœuvre pour la politique de développement économique menée par les collectivités locales
i – nombre excessif d’opérateurs et concurrence coupe-gorge
-          Si la réglementation génère des flux d’entrées excessifs
o   Problèmes de coûts échoués pour les professionnels qui ont déjà investis (cf. problématique des taxis)
o   Risque d’un excès d’offre : guerre des prix au détriment de la qualité et / ou de la sécurité à risque d’antisélection (market for lemons)
o   Incapacité des firmes à engager des investissements
o   A terme consolidation du marché au détriment du consommateur
-          Tous les types d’entrées ne se valent pas en termes de retombées
o   Exemple de l’urbanisme commercial : moindre impact quand hard discount[9] ou impact de court terme pour certains opérateurs[10].
-          Peut-on construire des marchés concurrentiels ?
o   Doutes possibles sur les remèdes structurels quand la problématique est celle des rapports de forces dans les négociations commerciale (problématique en amont et remède en aval)
ii – stratégies d’écrémage du marché
-          Les nouveaux entrants se concentrent sur les segments profitables
-          Abandon des segments peu lucratifs aux opérateurs historiques
-          Augmentation du montant de subvention nécessaire : coût des fonds publics et limitation des capacités d’engagements budgétaires des collectivités locales
iii – coûts et contraintes de la concurrence
-          Coûts de transaction liés aux mises en concurrence (exemple de l’indemnisation des participants aux dialogues compétitifs dans les PPP)
-          Limitation des marges de manœuvre des collectivités
o   Encadrement des aides publiques
§  Entrave aux stratégies de développement local
§  Mise en péril des firmes en cas d’exigence de remboursement de mesures qualifiées ex post d’aides
o   Entraves liées à l’article 102 (abus de position dominante)
§  Cas des pépinières d’entreprise (action de firmes spécialisées dans l’hébergement d’entreprises[11])
iv-  Les risques d’une libéralisation excessive
-          Cas des LCC : a priori gain pour les consommateurs et les territoires mais phénomènes de mise en concurrence des aéroports
-          Dynamique possible de concurrence fiscale collectivement sous-optimale
-          Cantonnement de la politique aéroportuaire à une compétitivité prix (les clients de la LCC seraient les aéroports et non les passagers) or un aéroport n’est pas seulement un acteur de marché mais participe d’une politique publique locale visant à créer une valeur sociale de long terme – un avantage compétitif pérenne ne reposant pas sur les seuls coûts (de nature à verrouiller les décisions de localisation des firmes[12])
 


4.      Conclusion
           Approche raisonnée de la concurrence (non pas un modèle de concurrence régulée mais éviter que la loi ne crée une concurrence excessive et donc destructrice)
o   « concurrence autant que possible, Etat autant que nécessaire »
o   Prévenir les effets non désirés de la concurrence
§  Exemple : évolution du rôle de l’ARAF avec la Loi Macron[13]
-          Préserver les marges de manœuvre des politiques publiques et des leviers de commande – même si une entité a des activités relevant du champ économique, les retombées sur le territoire peuvent justifier un contrôle public




[1] Cf. Le cas des DSP dans le secteur de l’eau en France – le concessionnaire réalise des investissements en fin de contrat – Chong & Huet, 2010, Recherches Economiques de Louvain – « Partenariats public-privé et investissements de fin de contrat : le cas de l’industrie de l’eau en France »
[2] Laffont  & Tirole, 1993, A theory of incentives in procurement and regulation in procurement and regulation
[3] Charreaux G. et Alexandre H. (2004), « L'efficacité des privatisations françaises: une vision dynamique à travers la théorie de la gouvernance », Revue Economique, vol. 55, n° 4, juillet, p. 791-821.
[4] Michel Mougeot & Florence Naegelen, 2007. "Was Chadwick right?," Review of Industrial Organization, Springer, vol. 30(2), pages 121-137, March.
[5] Effets favorables sur l’emploi attendus (cf. précédent en 1986 de la libéralisation du transport autoroutier de marchandises). Effets également sur les prix (favorable aux étudiants et retraités). Concurrence peu évidente avec les trajets ferroviaires mais possibilité de pallier l’insuffisance ou l’inadaptation de l’offre.
[6] Miguel Amaral, Stéphane Saussier et Anne Yvrande-Billon, 2013, “(Potential) Number of Bidders and Winning Bids Evidence from the London Bus Tendering Model”, Journal of Transport, Economics and Policy, Volume 47, Number 1, p.17-34
[7] Bertrand M. et Kramarz F., (2002), « Does Entry Regulation Hinder Job Creation? Evidence from the French Retail Industry”, Quarterly Journal of Economics, 117(4).
[8] Reprise d’une provision introduite pour les COM
Voir Venayre F., (2014), « L'efficacité du pouvoir d'injonction structurelle en question », séminaire de recherche CNRS – GREDEG, décembre
[9] Voir les travaux en cours de P. Biscourp, cités par Anne Perrot (janvier 2014).
[10] Cas de Walmart voir Askenazy  Ph et Weidenfield  K., (2007),  Les soldes de la Loi Raffarin. Le contrôle du grand commerce alimentaire, Editions de la Rue d’Ulm, Paris.
[11] Aut. conc., avis n° 14-A-12 du 31 juillet 2014 relatif à la situation de la concurrence dans le secteur de l’hébergement d’entreprises
[12] Gaffard J.L., « Développement Local et Globalisation », Revue de l’OFCE n°94, 2005.
[13] L’ARAFER devra veiller au maintien de l’équilibre économique du service public sur les liaisons infrarégionales

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