jeudi 31 janvier 2013

PPP et opportunismes comptables et budgétaires


PPP et opportunismes comptables et budgétaires

Analyser l’impact des PPP sur les comptes de l’Etat suppose de distinguer trois types de comptabilités différentes. Une première est – sur le modèle des entreprises privées -  une comptabilité patrimoniale (ou comptabilité générale). Une deuxième tient à la comptabilité budgétaire stricto sensu i.e. aux flux de ressources budgétaires. Une troisième, enfin, correspond aux comptes nationaux au sens de Maastricht. Ils servent à évaluer le déficit et la dette publique conformément aux règles définies par le Pacte de Stabilité et de Croissance (Kirat et Marty, 2009).
Dans le cadre d’une comptabilité de flux classique, les engagements liés aux contrats de PPP ne peuvent être correctement traduit dans les comptes publics. En effet, nulle reconnaissance comptable n’apparait au moment de la signature du contrat. Les flux de paiement annuels liés aux loyers sont enregistrés dans les comptes, exercice après exercice, mais l’impact du contrat sur la dette n’apparaît pas. Ce faisant, le développement des PPP a été accompagné par un passage d’une comptabilité de flux à une comptabilité d’engagements (Marty et al., 2006). Celle-ci permet du moins en théorie de traduire dans les comptes l’impact du contrat de long terme dès sa signature. Ce fut le cas au Royaume-Uni avec le Resource Accounting and Budgeting Act de 1997 et en France avec la Loi Organique relative aux lois de finances de 2001. Dans les deux cas, la comptabilité générale mise en place par l’Etat suppose de reconnaître l’ensemble des engagements dans les comptes publics dès la signature de l’acte juridique qui en est à l’origine. Ainsi, a priori, un contrat de PPP est-il automatiquement reconnu dans les comptes. En fait l’adoption de règles comptables de nature patrimoniale ne signifia pas la reconnaissance comptable des contrats de PPP et ce particulièrement dans le cas britannique (Marty et Voisin, 2009). En effet, l’adoption de règles dérivées des UK GAAP, notamment les FRS5, conduisirent à traiter en hors bilan une part très significative des contrats de PFI (Hodges and Mellet, 2012). Cependant, les normes de comptabilité générale utilisées par les Etats se sont inscrites depuis plusieurs années dans un processus de convergence avec les IFRS, c’est-à-dire avec les normes comptables internationales privées. Ce phénomène, observable pour le Recueil des Normes Comptables de l’Etat dans le cas français, s’applique particulièrement aux contrats de PPP comme en témoigne l’édiction d’une norme par l’IPSASB (International Public Sector Accounting Standard Board) relative aux contrats de concession (au sens large) répliquant l’interprétation IFRIC 12 utilisée pour les entreprises privées (Dupas et al., 2012). Il s’agit d’une norme fonctionnant « en miroir » avec les exigences pesant sur les entreprises privées et permettant donc potentiellement de corriger l’un des biais constaté pour les PFI britanniques, lesquelles étaient parfois reconnues ni dans la comptabilité générale de la personne publique ni dans celle de la personne privée. Le processus de convergence avec les normes internationales privées fut plus rapide (malgré des difficultés de mise en place) et plus marqué au Royaume-Uni où la comptabilité générale de l’Etat s’est calée sur les normes IFRS elles-mêmes. Il s’ensuit a priori une correction des biais constatés dans la reconnaissance comptable des contrats de PFI par rapport aux pratiques résultant de l’application des FRS5. Cependant, l’ensemble des biais qui pouvaient conduire à choisir une PFI non pas pour son efficacité économique mais simplement par opportunisme comptable, i.e. pour mettre la dette en hors bilan (Maskin and Tirole 2008), ne sont pas totalement corrigés pour autant. En effet, les éventuelles garanties publiques – plus fréquentes dans les contrats de PPP avec la crise – ne font pas obligatoirement l’objet d’une reconnaissance comptable dans la mesure où il s’agit d’engagements conditionnels. Dans la mesure où il n’est pas possible d’évaluer précisément ex ante l’espérance mathématique de coût associée. De tels engagements ne sont traités qu’en hors bilan.
Ce faisant, les biais en faveur des PPP peuvent perdurer quand bien même une comptabilité d’engagements basée sur les IFRS est mise en œuvre. Il en va de même si nous considérons la comptabilité budgétaire elle-même et les comptes nationaux au sens de Maastricht.
Dans le cas français, circulaire du 14 septembre 2005 a obligé les ministères à couvrir par des autorisations d’engagements le coût d’investissement (coût de construction et coûts annexes, dont frais financiers) et le dédit éventuel liés aux contrats de partenariats. Il s’agit d’éviter que des personnes publiques utilisent les PPP pour contourner les contraintes pesant sur leurs budgets d’investissements. Le risque de développement de stratégies opportunistes dans le domaine est particulièrement mis en exergue au Royaume-Uni où la mise en œuvre des DELs (Departmental Expenditure Limits) s’est traduite par un biais en faveur du financement des investissements publics en PFI à la fois pour lancer les programmes d’investissements en l’absence des ressources budgétaires idoines (House of Commons Treasury Committee, 2012)… et éventuellement créer des irréversibilités permettant de faire échapper à de futures régulations budgétaires (i.e. à des coupes dans les budgets d’investissement et d’exploitation). Relevons qu’un phénomène comparable avait été mis en exergue dans le cas français par la Cour des Comptes dans le cadre de son rapport public de février 2008 (Cour des Comptes, 2008) pour le contrat portant sur le nouveau bâtiment des archives du ministère des affaires étrangères et européennes.
Le même phénomène demeure pour les comptes nationaux au sens d’Eurostat. Les règles de reconnaissance comptable dérivant de la décision d’Eurostat de 2004 avaient eu pour effet de faire échapper à la consolidation dans la dette (et le déficit) de nombreux contrats de PPP. Même si le traitement dans les comptes au sens de l’ESA 95 (European System of Accounts) est en partie dérivé de la comptabilité générale de l’Etat, l’adoption des IFRS dans le cas britannique et la consolidation d’une part significativement supérieure des contrats de PFI ne permettra pour autant de corriger l’ensemble des biais dans la mesure où les principes comptables sous-jacents demeurent divergents. En effet, Eurostat exige qu’un contrat de PPP soit reconnu dans les comptes publics dès lors que la personne publique assume le risque de construction et soit le risque de demande soit le risque de disponibilité (ou bien entendu les deux). Il s’agit d’un critère de type risk and reward. A l’inverse, les IFRS conduisent à adopter un critère de contrôle (sur la nature de la prestation, de sa tarification) pouvant conduire à des résultats divergents en termes de reconnaissance comptable. A ce titre, même si des contrats de PPP sont reconnus dans la comptabilité générale de l’Etat, ils peuvent demeurer hors bilan au sens d’Eurostat. Les biais dans les choix d’une solution d’acquisition patrimoniale traditionnelle ou d’une PFI demeure comme le montre le rapport de Treasury Committee (2012) : « Departmental accounts are based on the International Financial Reporting Standards (IFRS), which are in the main aligned with departmental budgets. In certain cases, ESA 95 and IFRS for the public sector are not aligned and thi sis the case for PFI”.

Cour des Comptes, (2008), Rapport public annuel 2008, février.
Dupas N., Gaubert A., Marty F. et Voisin A., (2012) « Les nouvelles règles de comptabilisation des partenariats public-privé », Revue Lamy des Collectivités Territoriales, n°75, janvier, pp.69-74.
Hodges R. and Mellet H., (2012), “The UK Private Finance Initiative: An Accounting Retrospective”, The British Accounting Review, vol.44, pp.235-247.
House of Commons Treasury Committee, (2012), Private Finance Initiative: Government, OBR and NAO Responses to the 17th Report from the Committee, HC 1725, January.
Kirat T. et Marty F., (2009), « Système d’information comptable de l’Etat et contrôle de l’exécution des contrats publics », Document de travail OFCE, n° 2009-10, avril 2009, 33p.
Marty F., Trosa S. and Voisin A., (2006) « The move to Accrual Based Accounting: The challenges facing central governments », International Review of Administrative Sciences, volume 72, number 2, June, pp. 203-222.
Marty F. et Voisin A., (2009), « La comptabilisation des contrats de Private Finance Initiative au Royaume-Uni »,  Cahier de recherche GIREF, n° 02-2009,  ESG – UQAM, mars, 15p.
Maskin E. and Tirole J., (2008), “Public-Private Partnerships and Government Spending Limits”, International Journal of Industrial Organization, 26 (2), March, pp. 412-420.




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